Image du film “Panic Room" (2002), de David Fincher, avec Jodie Foster, Kristen Stewart, Forest Whitaker.

Poursuivant, dans son livre “White”, une analyse au vitriol de la société américaine, Bret Easton

Image du film “Panic Room" (2002), de David Fincher, avec Jodie Foster, Kristen Stewart, Forest Whitaker.

Poursuivant, dans son livre “White”, une analyse au vitriol de la société américaine, Bret Easton Ellis dénonce – chez les milleniaux– «l’incapacité croissante» à supporter le débat d'idée. Ils exigent des espaces "protégés". Mais quel est leur problème ?

Son entreprise de démolition avait commencé avec Moins que zéro (1986), entamé dès l’âge de 16 ans et publié, à 21 ans, comme le roman à charge de la génération X (celle des individus nés entre 1960 et 1980), dont il pointait le nihilisme. Dans White, pamphlet auto-biographique volontiers provocateur, Bret Easton Ellis s’en prend maintenant aux milleniaux (nés entre 1980 et 200) qu’il traite de «dégonflés», voire pire : de «flocons de neige» (snowflakes), l’équivalent de «pauvre petite chose». L’expression snowflakes, introduite dans le dictionnaire anglais Collins en 2016, très populaire parmi les partisans de Trump (1), désigne couramment les jeunes de gauche, perçus comme pleurnichards, incapables de supporter la moindre contradiction et, de ce fait, totalement allergiques à la liberté d’expression. Ces flocons de neige –«si sensibles et fragiles qu’ils s’effondreraient à l’écoute du moindre discours antagoniste» (AFP)– se préservent en réclamant ce qu’ils nomment des «espaces sécurisés» (safe space). Sur les campus, les safe space sont des endroits où tous les sujets dits sensibles sont prohibés.

Des milléniaux «incapables d’affronter les échecs»

Pour Bret Easton Ellis, l’existence des safe space illustre parfaitement la carence des milléniaux, «qui, au premier signe de noirceur ou de négativité, [sont] souvent paralysés et incapables de réagir, si ce n’est par l’incrédulité ou les larmes – Tu as fait de moi une victime ! – et [battent] en retraite dans leurs bulles d’enfance.» Leur problème, dit-il, c’est qu’ils ont été couvés par des parents surprotecteurs, étouffants, qui les suivaient à la trace via GPS et ne faisaient que les encenser. Comment peut-on devenir adulte quand on ne connaît jamais ni le risque, ni l’échec ? Ces parents, dit-il, ne leur ont pas appris «comment faire face aux difficultés de la vie» ni à gérer ces vérités essentielles : vous ne serez pas toujours aimés, vous n’avez pas forcément de talent, vous vous tromperez souvent, vous souffrirez, vous serez souvent trompés. Lorsqu’ils le découvrent, les milléniaux ne font que «s’effondrer dans la sentimentalité et créer des récits victimaires.» Dénonçant ce déni de réalité, BretEaston Ellis s’énerve : dans un monde souvent hostile ou «qui se fiche de savoir que vous existez», mieux vaudrait affronter le réel que se réfugier sans cesse dans des zones de confort idéologiques.

Des safe rooms soviétiques aux panic rooms d’Hollywood

Sa colère n’est pas isolée. En 2018, Laurent Dubreuil, philosophe, enseignant à l’Université Cornell, aux Etats-Unis, signe un pamphlet virulent contre les safe space et leur corrélat : la censure. Dans ce livre intitulé La dictature des identités(Gallimard), remontant aux origines du phénomène, il le dissèque d’une plume corrosive. Tout commence à la fin des années 1970, avec la création des safe rooms, des chambre fortes qui, dans les ambassades soviétiques, permettraient aux diplomates de parler sans craindre d’être écoutés par les services de surveillance américains. Peu à peu toutes les ambassades adoptent ce système qui s’étend dès les années 1980 au résidences privées. Les panic rooms (rendues célèbres par le film éponyme avec Jodie Foster) sont des sortes de bunker où les familles peuvent se réfugier en cas de cambriolage. A la même époque, le psychiatre londonien Anthony Fry –premier théoricien du safe space– affirme que l’équilibre mental n’est atteignable que depuis un «lieu sûr». Dans les années 1990, les safe space désignent des abris pour des populations vulnérables (femmes battues, gays rejetés par leur famille, prostituées, drogués, etc.), mais il désigne aussi en parallèle des pièces dans lesquelles les parents sont invités à fabriquer «des enfants apeurés par le monde», ainsi que le formule ironiquement Laurent Dubreuil.

Comment fabriquer un «enfant apeuré»

En 1993, un manuel de psychologie donne le conseil suivant : «Apprenez à chacun de vos enfants à aller dans la safe room de votre maison s’il leur arrive quelque chose. C’est vraiment facile à faire, même avec un enfant en bas âge. Quel que soit le problème, confortez l’enfant dans la safe room. La petite Betty s’écorche le genou et vient à vous en pleurant ? Portez-la jusque dans la safe room, réconfortez-la, nettoyez et pansez la plaie, peu importe qu’elle soit légère.» Laurent Dubreuil enchaîne : «Vingt ans plus tard, la petite Betty, qui fut bien dressée par ses parents aimants, réclame son safe space à l’université. Quoi de plus normal?» Le problème avec cette réclamation («je veux mon cocon»), c’est qu’elle va toujours avec le rejet violent de toute opinion non-conforme à la pensée unique. Le safe space, comme l’explique Bret Easton Ellis, est un espace «où personne n’est jamais offensé, où tout le monde est gentil et aimable, où les choses sont sans tache et asexuée, et même sans genre si possible.» C’est un espace qui se prétend pluriel, mais qui n’admet pas la pluralité des opinions. Un espace «positif» qui diabolise les débats d’idées, qui vilipende les autres et qui autorise les pseudo-«victimes» à imposer leur loi. Au nom de leur oppression ?

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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White, de Bret Easton Ellis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, Robert Laffont, « Pavillons », avril 2019.

La Dictature des identités, Laurent Dubreuil, Gallimard, mars 2018.

L’interdiction de la libre discussion sur les campus de Grande-Bretagne, chronique de Brice Couturier («le tour du monde des idées», France Culture, 03/04/2018)

Safe spaces : des étudiants qui ne supportent plus la contradiction chronique de Brice Couturier («le tour du monde des idées», France Culture, 16/11/2018)

NOTE 1 : Bret Easton Ellis affirme ne pas aimer Trump qu’il décrit d’ailleurs dans White comme une «brute vulgaire en manque d’affection, avec une ­coiffure dingue et la peau orange».

CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER CONSACRE AUX IDENTITES ET AUX LIBERTES : «Trigger Attentions : des «avertissements» sans dangers ?» ; «Balthus peut-il “déclencher” ?» ; «Se faire tatouer une publicité : possible ?» ;«Faudrait-il signer un contrat avant de faire l’amour ?» ; «Les milleniaux : génération Bisounours ?»; «Safe space : le refus de grandir»