Image promotionnelle pour la compagnie Pan American Airlines

En 1967, au moment même où l’héroïne de BD Natacha est créée, un nommé Celio Diaz jr réclame le droit de devenir “hôtesse de

Image promotionnelle pour la compagnie Pan American Airlines

En 1967, au moment même où l’héroïne de BD Natacha est créée, un nommé Celio Diaz jr réclame le droit de devenir “hôtesse de l’air”. Aux Etats-Unis, à l’époque, ce métier est réservé aux femmes : discrimination sexiste ?

Il y a plus de 50 ans, alors que la conquête spatiale mobilise toutes les énergies, un homme porte plainte pour une conquête bien plus importante à ses yeux : le droit à l’égalité. Celio Diaz jr, père de deux enfants, a un rêve : il veut faire partie du personnel de bord dans la compagnie d’aviation Pan Am. Mais c’est impossible. Depuis les années 1950, la plupart des compagnies commerciales ont en effet décidé d’écarter les hommes de leurs sélections. Il s’agit de séduire une clientèle essentiellement composée d’entrepreneurs fortunés, de célébrités et de capitaines d’industrie. Le recrutement vise des femmes sexuellement attirantes, c’est-à-dire jeunes, non-mariées, dotées d’une dentition parfaite et de mensurations correspondant aux critères stricts de l’entreprise. A cette époque la compagnie d’aviation PSA va jusqu’à mesurer le tour de cuisse des hôtesses. Delta leur impose le port d’une gaine afin qu’elles aient la taille de guêpe. United Airlines exige qu’elles portent des sous-vêtements blancs.

Les critères de sélection des hôtesses

Pour ce qui est de leur poids, jusque dans les années 1980, les hôtesses doivent subir la pesée : celles qui dépassent de 500 grammes le poids maximum autorisé reçoivent une «mention». Si trois mois plus tard elles n’ont pas maigri, une lettre de réprimande. Si trois mois se passent encore dans qu’elles perdent du poids, elles sont suspendues sans rémunération ou tout simplement licenciées. Dans Le Prix du sentiment,la sociologue américaine Arlie Russell Hochschild cite une hôtesse de l’air : «L’entreprise veut qu’on sexualise l’atmosphère de la cabine. Ils veulent que les hommes croient à cette atmosphère, parce qu’ils pensent que ce que les hommes veulent vraiment, c’est éviter la peur de l’avion. Alors ils imaginent qu’une légère excitation sexuelle aidera à faire oublier aux gens qu’ils sont en train de voler.»

L’hôtesse de l’air sur la ligne rouge entre pute et maman

Les hôtesses sont les éléments-clés des stratégies commerciales : les recruteurs des compagnies d’aviation savent que tout dépend du personnel à bord. L’hôtesse doit concilier très soigneusement les qualités d’une femme fatale et d’une épouse maternelle. Toujours aimable, elle doit être prête à répondre aux sollicitations des passagers et, si cela ne suffit plus, nourrir leurs fantasmes sexuels. Chaque compagnie possède d’ailleurs des attentes spécifiques concernant la «personnalité» que l’hôtesse doit enfiler comme un masque : «la “personnalité” de United Airlines, c’est celle de la “fille d’à-côté”, la baby-sitter du quartier devenue adulte. Celle de la Pan Am est sophistiquée, elle vient de la haute société et, même si elle est bienveillante, elle reste légèrement réservée. Celle de PSA est effrontée, sexy et elle aime s’amuser.» Il est bien sûr exclu, dans l’esprit des recruteurs, qu’un homme puisse remplir ce rôle.

Seule une femme peut assurer le bien-être des passagers ?

Mais Celio Diaz jr n’a cure de ces considérations. S’appuyant sur la loi de 1964 relative aux droits civils (qui interdit la discrimination sexuelle, religieuse ou ethnique), il se présente comme candidat une première fois. Lorsque sa deuxième tentative échoue en 1967, il porte plainte. Durant les quatre années qui suivent, la compagnie Pan Am tente de prouver que le fait d’être femme constitue une véritable qualification professionnelle et que seule une personne de sexe féminin est apte à assurer le bien-être et la sécurité des passagers durant un vol. La presse s’empare du sujet et fait barrage aux ambitions jugées absurdes, puériles, voire suspectes de Celio Diaz : un homme qui veut devenir hôtesse de l’air est-il vraiment un homme? Les journalistes ironisent ou se scandalisent.

Rassurer les hommes sur leur hétéro-conformité

Un psychiatre, Eric Berne, affirme publiquement qu’un stewart mettrait les passagers mal à l’aise parce qu’il «pourrait exciter des désirs… jugés indésirables». Le premier juge en charge de l’affaire donne raison à la vox populi : il établit que le fait d’être une femme est un pré-requis pour exercer le métier de personnel navigant parce que, suivant les termes de Berne, «les passagers mâles se sentent en général plus virils et donc plus à l’aise en présence de jeunes hôtesses de l’air.» Mais à l’époque, des féministes défendent les revendication de Celio Diaz. La plus célèbre d’entre elles, Ruth Bader Ginsburg, est une juriste spécialisée dans les cas de discrimination sexistes. En 1970, elle co-fonde le premier journal américain exclusivement consacré aux droits des femmes.

«Est-ce que des femmes regardent les hommes ?«

Cette même année, dit-elle, alors qu’elle déjeune avec des collègues dans un restaurant, l’un d’entre eux lui dit : «C’est bien ce que tu fais, Ruth, concernant l’égalité et tout ça… mais tu ne crois pas que ça va trop loin ? Tu connais le cas de de type qui veut devenir hôtesse de l’air ? C’est stupide non?» Ruth n’a même pas le temps de répondre que la serveuse qui s’occupe de leur table intervient : «Pardonnez-moi de vous déranger, mais je reviens juste d’un voyage. Sur le vol Alitalia où j’étais, il y avait un stewart vraiment adorable et mignon…» Les collègues de Ruth, stupéfaits, se tournent vers elle : «Est-ce que des femmes regardent les hommes de cette façon ?». Ruth répond : «Et comment !». Cette histoire, qu’elle raconte lors de son discours inaugural à la Cour Suprême en 1993, est souvent cité par les féministes qui luttent pour l’égalité homme-femme.

L’égalité sexuelle ce n’est pas lutter CONTRE l’objectification de la femme… c’est lutter POUR l’objectification de l’homme

Se battre pour des droits égaux, ce n’est pas se battre contre des représentations érotisées de la femme. C’est se battre pour que les femmes puissent, elles aussi, traiter les hommes en «objets sexuels». Fortes de cette conviction, beaucoup de femmes militent pour avoir elles aussi droit à des stewarts lorsqu’elles prennent l’avion. Il n’est pas certain, bien sûr, que leur voix ait été entendue, mais lorsque Celio Diaz saisit la Cour d’appel, celle-ci finit par lui donner raison. En 1971, la justice conclut que le métierd’agent de bord est d’assurer la sécurité des passagers, non pas de les rassurer sur leur virilité. La compagnie Pan Am est condamnée. Pour Celio Diaz, il est trop tard : il a dépassé l’âge limite de candidature. Mais grâce à lui les hommes peuvent enfin postuler, victoire.

Comme par un fait exprès, l’année 1971 voit paraître le premier album des aventures de Natacha l’hôtesse de l’air et de son fidèle comparse : un stewart, nommé Walter.

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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François Walthéry Une Vie en dessins, éditions Dupuis, mars 2019, 384 pages en couleur.

Le Prix des sentiments. Au coeur du travail émotionnel, d’Arlie Russell Hochschild, éditions La Découverte, coll. Laboratoire des sciences sociales, mars 2017.

NOTE : Pour le choix de la couverture des aventures de Natacha, l’auteur de BD belge François Walthery s’inspire des couvertures dePlayboy. En dépit des réticences de son éditeur (Dupuis), Walthéry parvient à faire passer un gros plan sur Natacha, dont le buste semble littéralement déborder de la couverture. Charles Dupuis est choqué mais «l’honneur de la vénérable institution Dupuis est sauvé par une main gantée fort opportunément ajoutée par l’auteur pour atténuer l’effet de volume.» A l’époque, aucune féministe, semble-t-il, n’a jamais protesté contre la plastique généreuse de Natacha.

POUR EN SAVOIR PLUS : «Sur quelle compagnie allez-vous voyager cet été?» ; «Les leçons de morale du CSA» ; «Haro sur les publicités “sexualisées”».