L’histoire de la rencontre, aux Etats-Unis, se scinde en trois étapes : le calling, le dating, le hooking. Dans un essai intitulé “Sex Friends”,
L’histoire de la rencontre, aux Etats-Unis, se scinde en trois étapes : le calling, le dating, le hooking. Dans un essai intitulé “Sex Friends”, Richard Mèmeteau raconte l’évolution des scripts relatifs à la séduction hétérosexuelle.
Dans nos sociétés, le nombre de célibataires ne cesse de croître. «Or que font ces célibataires ? Ils se courent après. Ils téléchargent des applications de rencontres sur leurs portables et regardent en boucle des comédies romantiques.» Dans Sex Friends (Zones, 2019), Richard Mèmeteau –professeur de philosophie, ex-contributeur aux Inrocks et auteur de Pop culture (Zones, 2014) –, dédramatise l’expansion de cette culture de la drague en ligne qu’il appelle dating. Pour défendre son point de vue, il en retrace les origines. Au début, dit-il, il y avait le calling, c’est-à-dire «l’invitation». Puis le dating : le «rendez-vous» et le hooking : le «plan cul».
Jusqu’en 1920 : le calling
Avant les années 1920, le jeune homme qui a des vues doit manifester son désir d’une rencontre puis… attendre un“appel”. C’est la jeune femme qui prend l’initiative : elle parle du prétendant à sa mère, qui envoie l’invitation. Richard Mèmeteau cite la sociologue Kathleen Bogle : «L’objet de l’appel (call) était de passer du temps avec la femme en question aussi bien qu’avec sa famille, particulièrement avec sa mère.» Le prétendant était donc convié à venir rendre des visites au domicile de la jeune fille, en présence de sa maman. On lui offrait à boire, on vérifiait son pedigree et, pour le distraire, sa dulcinée jouait un air au piano. «On donnait un peu d’intimité au jeune homme et à la jeune femme pendant un court instant, particulièrement si la mère savait que sa fille “aimait” vraiment le jeune homme» mais le but du jeu était de vérifier le sérieux du garçon. Serait-il suffisamment patient, fiable et convaincant ? «Dans le contexte de l’époque, explique Richard Mèmeteau, le contrôle opéré par les femmes se justifiait notamment par le poids et le sacrifice que représentaient un mariage et le paiement d’une dot. C’est celui qui avait le plus à y gagner qui devait prouver son engagement – en l’occurrence, le jeune homme». Dans ce monde, la rencontre est en apparence contrôlé par les femmes, mais celles-ci ne disposent pratiquement d’aucune autonomie. Pas de sexe avant le mariage, pas de mariage sans le consentement des parents.
A partir de 1920 : le dating
A partir des années 1920, c’est aux hommes de prendre l’initiative, en demandant un rendez-vous. Le verbe to date remonte au XIXe siècle. «Les classes populaires ne possédaient évidemment pas de petit salon pour y distraire leurs invités. Il fallait alors se donner rendez-vous à l’extérieur.» Le date a généralement lieu dans un café ou dans uncinéma afin d’échanger des baisers. Au fur et à mesure que les moeurs se libèrent aux Etats-Unis, le “date” finit par désigner les faveurs sexuelles que l’homme obtient d’une femmepour peu qu’il lui ait offert les pop-corps et l’entrée du drive in. Ayant assuré les frais du rendez-vous, il s’estime parfois en droit d’exiger «un peu de reconnaissance», sur le siège arrière de sa voiture. «En apparence libre, le jeu du dating favorise davantage les hommes. Particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, le niveau de vie augmentant, les jeunes hommes bénéficient d’un coup de pouce économique qui accroît leur domination dans le jeu amoureux. Ce nouveau script est néanmoins vécu comme une libération : les jeunes peuvent se donner des rendez-vous, qui ne sont pas encadrés par les familles, dans l’unique but de s’amuser, de chercher le frisson.»
Dans les années 2000 : le hooking
Avec l’apparition de la pilule, puis des sites de rencontre, la culture du dating se sexualise de plus en plus et donne le hooking. Certains sociologues, comme Eva Illouz (dans Les sentiments du capitalisme) affirment que cela correspond à une «dérégulation» du marché matrimonial : «On a détaché la sexualité des anciennes règles sociales, morales ou religieuses qui l’encadraient. En culture chrétienne, la sexualité avait un telos, une finalité sociale, le mariage, et une finalité biologique, la reproduction. […] Avec la dérégulation, la seule éthique qui subsiste est celle du consentement : vous pouvez faire tout ce que vous voulez, pour autant que la personne avec qui vous le faites est consentante.» Richard Mèmeteau n’est pas d’accord avec cette analyse : ce qui émerge, dit-il, «plutôt qu’une dérégulation générale, c’est la constitution d’un groupe capable de dicter d’autres règles que celles de la mère». Ce groupe nouveau, ce sont les jeunes adultes des deux sexes qui le constituent, suivant des critères qui mettent peut-être à mal la morale bourgeoise, oui, mais sur le court terme. But du hooking : profiter de sa jeunesse… en attendant le moment fatal où il faudra rentrer dans le rang (fonder un foyer).
Le plan cul met-il en danger l’amour ?
Pour Richard Mèmeteau, la culture des rencontres en ligne ne remet pas fondamentalement en cause les normes bourgeoises. Même si, dans les faits, elle permet aux jeunes de s’adonner au sexe loin du regard des proches, l’amusement est de courte durée. Les femmes doivent se mettre en couple dès 28 ans pour obtenir un statut social. Par ailleurs, si elles veulent un enfant, mieux vaut qu’elle aient une base économique ou un mari pour les soutenir. Les hommes, eux, –n’ayant pas l’obligation d’exister socialement à travers un mariage–, peuvent profiter plus longtemps du hooking et s’amuser… jusqu’à 35 ans. L’idéal du couple continue de prévaloir. C’est sur le fond de ce contrôle social asymétrique (inégalitaire) que les relations hommes-femmes continuent d’exister… hélas. Pour Richard Mèmeteau, la liberté sexuelle octroyée par les nouvelles technologies reste donc limitée. La norme de la conjugalité continue de peser sur les femmes. Les hommes qui, du coup, se retrouvent plus nombreux sur les sites de rencontre jouent aux victimes, voire aux martyrs, et réclament la punition des coupables le plus faciles à identifier : les femmes, qui sont pourtant les premières à pâtir du système. Conclusion : il faudrait en finir avec la morale. Interrogé par
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-adopteunmec-ce-n-est-pas-parce-qu-n-y-trouve-pas-le-grand-amour-qu-est" target="_blank">Marianne (la journaliste Marion Rousset) le philosophe s’interroge : «Pourquoi le moindre contact sexuel devrait-il déboucher sur une grande relation amoureuse ?». A ses yeux, les rencontres en ligne offrent la chance d’offrir un «nouveau terrain de jeu pas encore répertorié sur la carte du Tendre.»
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Sex friends. Comment (bien rater) sa vie amoureuse à l’ère numérique, de Richard Mèmeteau, éditions Zones, mai 2019.
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