«Le sexe doit être consenti, s’il ne l’est pas c’est du viol». Pour beaucoup, c’est une évidence. Mais pas
«Le sexe doit être consenti, s’il ne l’est pas c’est du viol». Pour beaucoup, c’est une évidence. Mais pas pour les juristes en France. Auteur du best-seller “Le sexe et la loi”, l’avocat Emmanuel Pierrat explique pourquoi la France ne suit pas ses voisins européens en matière de définition du viol.
En mai 2018, le Parlement suédois fait passer une loi qui rend nécessaire le consentement «explicite, verbal ou physique» avant l’acte sexuel. La Suède devient le 10e pays d’Europe à modifier son Code Pénal pour reconnaître la relation «non-consensuelle» comme viol. Mais un consentement peut être obtenu sous la menace, non ? Petite remise au point avec l’avocat associé Emmanuel Pierrat (Ancien Membre du Conseil de l’Ordre, Ancien Membre du Conseil National des Barreaux et Conservateur du Musée du Barreau de Paris).
Pensez-vous que définir le viol comme «une pratique sexuelle effectuée sans l’accord de la personne» peut utilement contribuer à changer les mentalités ?
Le problème avec cette définition du viol, c’est qu’elle ne précise pas ce qu’est le consentement («l’accord»). Même avec un accord exprès, donné préalablement, il faut fournir la preuve de ce qui a été consenti. Comment prouver qu’on a, ou pas, donné son «accord» ? La définition française peut sembler plus «technique» pour le non juriste mais elle permet de condamner les viols effectués dans les zones grises et ambiguës des rapports de force. Le fait de ne pas crier, de ne pas se débattre, est-ce donner son accord ? Une femme qui, sous la menace ou dans un état dit de sidération, qui se déshabillerait devant son agresseur pourrait être considérée comme ayant donné son accord… La loi française permet de reconnaître la contrainte et donc le viol.
En France, le viol est «une pratique sexuelle imposée par violence, contrainte, menace ou surprise». Cette définition fait l’impasse sur la notion de consentement. Pourquoi les juristes français refusent-ils d’adopter ce critère ?
Cette définition ne fait pas l’impasse sur le consentement : elle le définit. L’absence de consentement est caractérisée par la preuve de la violence/contrainte/menace/surprise. En France, dans un système de droit écrit (et non pas soumis à l’interprétation) chaque notion consacrée par la loi doit être précisément définie et ne souffrir aucune interprétation (au risque d’être censurée par une juridiction suprême). Le consentement ne fait pas exception, c’est pour cela que le législateur passe par une définition précise de la notion, sachant que les violence/contrainte/menace/surprise ont été entendues de plus en plus largement ces dernières années et permettent aujourd’hui de condamner énormément de comportements différents.
La définition du viol en France laisse passer certains types de viol à travers les mailles du filet : lesquels ?
Depuis 1810, le viol est une infraction à part entière en droit français, mais sa définition ne cesse d’évoluer. Au départ, le viol désigne uniquement la pénétration vaginale de force.
C’est seulement à partir de 1980 (date à laquelle le viol devient un crime), que la notion de viol s’étend aux autres formes de pénétration forcée – la sodomie ou la fellation. Mais le viol ne concerne d’abord que les femmes.
C’est seulement en 1992, que le viol homosexuel est reconnu. Mais le viol ne concerne les hommes que s’ils sont passifs.
A partir de 1997, certaines décisions reconnaissent le viol quand la victime (homme ou femme) est contrainte à pénétrer l’auteur, notamment dans le cas d’une fellation imposée. Mais les revirements de jurisprudence maintiennent une incertitude juridique.
En 2018, les dernières ambiguïtés sont levées par la loi Schiappa : désormais, l’auteur de la pénétration peut être considéré comme la victime du viol. Cela permet de sanctionner la fellation imposée et les viols commis par des femmes forçant un partenaire masculin à les pénétrer (sous l’effet d’une drogue ou de la menace, par exemple).
Jusqu’ici, une pénétration «classique» – au cours de laquelle l’homme a un rôle actif et la femme un rôle passif –, mais exercée sous la contrainte de la femme, ne pouvait pas être qualifiée de viol. À la suite de la loi Schiappa, promulguée en août 2018, l’article 222-3 du Code pénal dispose désormais que «Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.»
Par ailleurs, pour être réprimé, le viol n’est plus nécessairement commis à l’aide du seul organe sexuel du violeur : un doigt, un bâton, n’importe quel objet suffit pour que la pénétration soit constitutive du crime de viol. Mais, hors de toute connotation sexuelle, et malgré une pénétration consommée, il n’y a pas de viol.
Aujourd’hui, il reste deux zones d’imprécision, faute pour la loi de les considérer comme des organes sexuels et qui sont donc soumis à une appréciation jurisprudentielle : l’anus et la bouche ; il en est de même lors de l’utilisation d’objets pour la pénétration (qui nécessite la caractérisation d’une intention sexuelle, non définie par la loi).
Certains médecins (hommes et femmes) se permettent des touchers vaginaux ou rectaux sur des patient-es n’ayant pas donné leur accord. Pourraient-ils (et elles) être inculpé-es de viol ? Cela serait-il souhaitable ?
Ces derniers mois, il est beaucoup question des pratiques exercées sur des patients endormis, sous le prétexte de former les jeunes médecins. Il faut faire évoluer les mœurs pour que ces pratiques soient enfin perçues pour ce qu’elles sont souvent : le toucher vaginal sans le consentement est un viol. Le toucher rectal est une agression sexuelle.
Pourquoi le toucher rectal non consenti n’est-il qu’une agression sexuelle (et pas un viol) ?
Le viol est une «pénétration sexuelle» et nécessite qu’il soit commis par le truchement d’un organe sexuel (pénis) et/ou sur un organe sexuel (vagin).
La pénétration anale (entendue comme la pénétration d’un pénis dans un anus) est un viol, puisqu’on a bien une des deux conditions supplétives de la pénétration sexuelle : en l’occurrence, l’organe sexuel (pénis). Pareil pour le toucher vaginal, la condition remplie étant celle de l’organe sexuel pénétré (le vagin).
En revanche, dans le cas du toucher rectal, il n’est question ni d’un organe sexuel pénétrant (le doigt n’étant pas un organe sexuel) ni d’un organe sexuel pénétré (l’anus n’étant pas un organe sexuel).
La question se complique quand il s’agit d’un objet : si une connotation sexuelle est démontrée, il y a viol (mais c’est soumis à l’appréciation jurisprudentielle).
Si, au regard de la loi française, le viol concerne uniquement un pénis dans un anus (et non pas une matraque dans un anus), pourquoi lors de l’affaire Théo, a-t-on parlé d’une «suspicion de viol» ?
Lors de l’affaire Théo, certains ont parlé de « suspicion de viol » parce que, même s’il s’agit en droit d’une pénétration non sexuelle (objet dans un organe non sexuel), la jurisprudence ces vingt-cinq dernières années a pu considérer que le fait de pénétrer de manière anale un individu avec un objet pouvait être qualifié de viol. Pour cela, néanmoins, il faut démontrer l’«intention sexuelle». Dans l’affaire Théo, la qualification de viol est donc soumise à une appréciation des juges et à la preuve de l’intention sexuelle de la part des auteurs.
La définition du viol en France contraint les avocats à faire la preuve qu’il y a eu violence, menace, contrainte, etc. Or on sait que la majorité des viols sont commis par des proches, des intimes ou par des personnes exerçant un ascendant, sans l’usage d’armes, ni de menaces. Est-ce que cela faciliterait le travail de la justice si le viol était requalifié comme un acte sexuel effectué sans consentement ?
La véritable question, c’est celle de la preuve. C’est à celui qui se dit victime de prouver ses dires. Le renversement de la charge de la preuve est dangereux potentiellement pour l’auteur qui aurait du mal à prouver le consentement, mais aussi pour la «victime» qui, dans des cas de consentement présumé, devrait démontrer qu’elle n’a pas donné son accord (c’est le cas du viol entre époux).
Une requalification telle que proposée ne faciliterait pas le travail de la justice, puisqu’il resterait toujours la nécessité d’apporter une preuve de cette absence de consentement et qu’en plus elle ferait naître des débats permanents sur la notion même de consentement.
En France, il reste une zone d’ombre, c’est le cas des enfants qui, souvent, se laissent subjuguer par un adulte. Peut-on considérer qu’une petite fille de 11 ans est consentante lorsqu’elle a des relations sexuelles avec un homme de 28 ans ?
Face à l’émoi suscité par différentes décisions de justice dans le courant de l’année 2017, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, a déposé, en mars 2018, un projet de loi prévoyait un seuil d’âge, fixé à 15 ans, en dessous duquel il est considéré qu’un enfant a toujours été contraint. Cependant, le Conseil d’Etat a rendu un avis, le 15 mars 2018, démontrant la difficulté de la mise en place d’une telle présomption. La loi Schiappa promulguée à la suite de ce projet a donc du abandonner l’idée de la création d’un age minimum pour le consentement.
Si la loi imposait que les gens donnent explicitement leur accord, cela aurait quelles conséquences (bonnes ou mauvaises) ?
La dérive, c’est de croire qu’un consentement préalable écrit est suffisant. «Prenons l’exemple du sadomasochisme et du contrat signé entre Leopold Sacher-Masoch et sa première femme, Wanda de Dounaïeff, et du “safeword”. Il est indispensable pour que le dominé puisse indiquer à son dominant qu’il s’approche des limites ou lui demander de s’arrêter lorsque son élan sadique dépasse l’acceptable et les bornes du consentement. Cette “contractualisation” ne peut cependant que faire naître, pour le juriste, les plus sérieuses réserves sur la validité de tels engagements, dont les vertus sont plus psychosomatiques que juridiques.» (Le sexe et la loi).
On peut aussi dénoncer une pratique née récemment dans certaines universités américaines : faire signer un contrat de consentement avant toute relation sexuelle. Mais cela ne règle pas tous les problèmes, bien au contraire : d’abord, une signature peut être obtenue par la même violence/menace/contrainte que la relation sexuelle elle-même ; ensuite, il ne faut pas perdre de vue que le consentement ne peut pas se donner préalablement puisqu’il faut consentir à la relation sexuelle au moment où elle se concrétise et tout au long de l’acte (on peut changer d’avis même si on a déjà «donné son consentement») ; enfin, il faut reconnaître que ce contrat de consentement vicie les relations, particulièrement entre les hommes et les femmes et favorise la suspicion et l’ère du soupçon.
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Article sponsorisé par Tatiana
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Le sexe et la loi, d’Emmanuel Pierrat, éditions La Musardine, 5e édition (remise à jour en 2019).
POUR EN SAVOIR PLUS : «Faudrait-il signer un contrat avant de faire l’amour ?» ; «App de consentement sexuel : danger !» ; «Contrat sexuel : simple comme un clic ?»
LA NOTION DE CONSENTEMENT :
«Pourquoi dire Non: pour exciter le mâle ?»
«Un gay vous drague: que faites-vous ?»