La nudité des corps reste à notre époque un élément naturel redouté. La chair, associée notamment à la sexualité, continue de susciter la honte ou d’être vue comme un
La nudité des corps reste à notre époque un élément naturel redouté. La chair, associée notamment à la sexualité, continue de susciter la honte ou d’être vue comme un élément à cacher aux yeux des autres, quand elle n’est pas simplement objetisée. Ruben Darío est un des rares illustrateurs repérés qui s’est aventuré sur le terrain de l’illustration de l’homme dans son apparat naturel. Illustrer des hommes nus n’est finalement pas si courant à notre époque, il était donc intéressant d’en apprendre plus sur la démarche de cet illustrateur venu d’Outre-Atlantique. Interview.
Pourrais-tu te présenter à nous, Ruben Darío ?
C’est ma mère qui a eu l’idée de m’appeler “Ruben Darío”, du nom d’un célèbre poète latino-américain. En m’appelant “Ruben Darío”, je pense qu’elle m’a destiné à être enclin à aimer la philosophie afin d’exprimer mes pensées et mes sentiments.
Ruben Darío
Je suis né en Uruguay à la fin des années 50 et je me considère comme un produit de la génération des années 60, lorsque la France a joué un rôle important dans la révolution étudiante internationale. J’aime écrire (essais, poèmes et nouvelles) et peindre, considérant Dame Nature comme l’un des meilleurs professeurs pour mes projets. Cela fait 30 ans que je vis à New-York.
Quand as-tu commencé à t’intéresser à l’illustration ?
Depuis mon enfance, j’ai toujours eu envie de dessiner. C’est à l’âge adulte, en raison de ma carrière professionnelle d’éducateur, que j’ai dû dessiner et être très proche du design artistique. Enfin, lorsque j’ai écrit un livre intitulé “You Are Cordially Invented To Think” en 2014, j’ai illustré mon livre avec 36 illustrations en couleurs. Ce furent mes débuts en tant que peintre professionnel.
Il est rare de voir la nudité masculine illustrée comme tu le fais : explicite, érotisée et normalisée. Pourquoi avoir choisi ce thème artistique ?
Je considère que dans notre société moderne, il y a différents sujets/questions qui sont à contresens. La nudité féminine et masculine est considérée comme quelque chose de “mal”, “anormal”, “antisocial” par certains hommes ou femmes. Nous avons des faits historiques qui ont montré de tels préjugés.
Illustration de Ruben Darío
Lorsque les conquérants envahirent l’Amérique au XVe siècle, ils considéraient que la nudité des Amérindiens était un symptôme de “l’infériorité” et de “l’ignorance” des “cultures ou du monde non civilisés”. Les préjugés sociaux et culturels actuels continuent de considérer que la “nudité” est négative, alors qu’en réalité il s’agit d’une question “normale et/ou naturelle”. Tout ce qui a été créé par la suite a été fait ou créé par l’homme ou la femme : culturellement, sociologiquement, psychologiquement, philosophiquement, anthropologiquement, religieusement, idéologiquement, entre autres aspects. En d’autres termes, c’est une élaboration humaine.
Le pénis est central dans tes dessins et bien souvent surdimensionné. Qu’essaies-tu de transmettre ?
Plusieurs personnes m’ont dit que je dessine des pénis surdimensionnés. Mais je ne les considère pas comme une exagération ou un “surdimensionnement”. Je les dessine comme je les perçois. Je considère que Botero n’a pas vu de “créatures surdimensionnées”. Il a peint ce qu’il a vu de sa réalité. La même chose s’est produite avec El Greco. Il n’a pas dessiné de “figures humaines allongées”. Il a peint des figures humaines comme il les voyait.
Illustration de Ruben Darío
Je dessine donc des pénis en fonction de ma perception et de ma perspective. D’autres questions implicites à ce sujet sont : pourquoi je dessine l’organe masculin ? Et, pourquoi pas ? C’est une partie du corps masculin qui a des particularités super abondantes, que les autres parties du corps n’ont pas. Un artiste plasticien visuel ne doit pas négliger ces particularités.
Illustration de Ruben Darío
De plus, selon la “règle de base de la perspective”, les pénis sont situés anatomiquement devant le corps, ce qui signifie qu’ils sont plus proches du spectateur. Derrière l’organe masculin, il y a les “noix” et la masse corporelle. Par conséquent, la virilité, en tant que péninsule de la terre continentale, doit être dessinée “plus grande” que ce qu’il y a derrière elle. En outre, ce sont des parties très importantes du corps, anatomiquement et visuellement, mais pour des raisons expliquées précédemment, elles ont tendance à être floues, cachées ou niées. Bien qu’ironiquement, ces organes masculins continuent de se tenir à leur place biologique pré-determinée.
As-tu déjà été victime de la censure Instagram ?
Je n’ai pas été censuré par Instagram pour différentes raisons :
– J’ai stipulé que mon compte est “Art et non Porno”. Je suis conscient du fait qu’il y a parfois une fine frontière entre “Porno” et “Art”, et qu’il est souvent difficile de faire la différence entre les deux. Je voudrais dire que l'”Art” a un message derrière les images qui soutiennent les tableaux.
– Les corps nus n’ont pas la “connotation sexuelle sale” à laquelle beaucoup de gens pensent. Vos peintures doivent montrer que les corps nus n’ont “aucune connotation sexuelle sale”.
– J’ai dû être très respectueux avec les modèles impliqués, en tenant compte de leurs souhaits, ainsi que des désirs du public. Je n’ai jamais fait appel à un public inapproprié pour voir mes tableaux, par exemple, des jeunes de moins de 18 ans. Aussi, je respecte les comptes adultes selon leurs définitions. Par exemple, s’il s’agit d’un compte pour “voyageurs”, alors ce n’est pas un compte pour “art érotique”.
Illustration de Ruben Darío
Que trouves-tu le plus beau et le plus dur dans le métier d’illustrateur ?
Le plus difficile dans le métier d’illustrateur, c’est quand certaines personnes interprètent le message contraire que vous, en tant qu’artiste, avez l’intention de projeter. Par exemple, quand quelqu’un considère que vous montrez des figures masculines parce que vous suggérez certaines approches sexuelles. Néanmoins, ces réactions négatives nous aident, en tant qu’artistes, à réaliser qu’il y a beaucoup plus à faire dans le monde de l’art pour rééduquer les gens.
Le plus beau en tant qu’illustrateur, c’est lorsque d’autres artistes vous complimentent en déclarant que vous les avez inspirés. De plus, à plusieurs reprises, des mannequins m’ont demandé s’ils pouvaient être dans mes tableaux. Ce genre d’éloges me motive à aller de l’avant, bien plus que de recevoir une compensation monétaire pour mon travail artistique.
Un sort est jeté et tu ne peux garder qu’une seule de tes illustrations, laquelle choisis-tu et pourquoi ?
Si je dois choisir une de mes œuvres préférées, j’en choisirais une qui montre deux figures humaines, l’une représentant un homme noir et l’autre un homme blanc. C’est l’un de mes premiers dessins de nus masculins. Les deux figures humaines sont à moitié nues avec un ruban jaune sur lequel on peut lire : “Ne pas laisser passer”. Leurs “mi-jambes” sont très prononcées, proéminentes, mais “la censure” essaie de les cacher. Ce ruban jaune représente “la censure historique sempiternelle” que les êtres humains recevaient de divers points de vue : sociologique, politique, psychologique, culturel, philosophique, religieux, etc.
Illustration de Ruben Darío
Ces deux personnages, situés de façon symétrique, se regardent et se regardent dans les yeux, avec un regard qui insinue des choses, mais le ruban de censure enveloppé indique : “Ne pas laisser passer…” vos regards insinuants.
En outre, les traits sont intentionnellement présentés de manière strictement égale. La seule différence est la couleur de leur peau.
Si quelqu’un les observe d’un point de vue social, économique et politique, la couleur de leur peau pourrait bien établir des stéréotypes importants et des différences partiales, surtout de nos jours où le racisme et la ségrégation sont promus, par exemple par le gouvernement américain actuel, malgré le fait que toutes les personnes naissent essentiellement égales.
J’ai souvent l’impression que les hommes cis qui apprécient la nudité masculine sont tout de suite associés à un désir homosexuel. Selon toi, pourquoi est-ce si difficile pour les hommes cis-hétérosexuels de faire face à la beauté d’un corps masculin ?
J’ai expliqué précédemment pourquoi un homme ou une femme ont des difficultés à faire face à la beauté de leur corps, et je voudrais souligner, “surtout les hommes et les femmes occidentaux”, en raison de l’impact des biais religieux. La feuille de vigne d’Adam et Ève est une représentation visuelle de la contrainte religieuse, se référant au dualisme incompatible entre le corps et l’âme humains.
Différentes religions populaires occidentales soulignent que le corps humain est une prison pour l’âme, ce qui signifie que le corps matériel est inférieur, dépassé par la supériorité et l’immortalité de notre âme. Faire attention à la nature de notre corps, est banal et non pertinent, comparé à la supériorité intellectuelle et spirituelle de l’âme.
Chaque individu doit faire face à ces préjugés ancrés et à plusieurs tabous, ce qui affecte négativement la façon dont les êtres humains pensent et/ou agissent.
Je me sens comme un homme qui est attiré par la beauté du corps masculin. Je me fiche de la pression sociale que certaines personnes exercent contre lui. Ma conception est que chaque personne, homme ou femme, a le droit de se définir en fonction de ses intérêts. Nous sommes certains que nous avons notre vie actuelle, mais nous ne savons pas si nous en aurons une autre après. Ainsi, chacun devrait profiter pleinement de sa vie.
Quels sont tes futurs projets ?
Un de mes projets en cours est lié à l’une de mes précédentes peintures acryliques sur toile, peinte en 2017. Cet acrylique parle de Diego Salcedo, mort en 1511, lorsque deux ou trois Tainos (Amérindiens des Caraïbes) l’ont noyé dans le “Río Grande de Añasco” à Puerto Rico. Ce fut le début de la rébellion Taino de 1511 dans les Caraïbes, parce que les conquistadores espagnols ont commencé à coloniser leurs terres, où leurs civilisations se sont organisées. J’adore cette peinture parce qu’elle dépeint le contraste et la rencontre violente entre les deux cultures.
Lorsque j’ai peint cette œuvre d’art, j’ai recherché directement les faits historiques, où ils se sont produits. En fait, je voudrais réinterpréter cet événement historique en utilisant des figures masculines nues pour les Amérindiens, par opposition aux Conquistadores, pour souligner la rencontre problématique entre deux cultures.
Illustration de Ruben Darío
Aussi, en tant qu’artiste plasticien, c’est un de mes rêves de pouvoir montrer mes œuvres dans une exposition, afin d’envoyer le message que le corps nu humain est une inspiration pour l’Art, dépassant tous les préjugés, stigmates, idées fausses ou tabous.
Retrouvez les dessins de Ruben Dario sur sa page Instagram.