Photo d'une poupée gonflable japonaise "Frog Pillow".

Peut-on se dire féministe et vouloir plaire ? Certaines femmes désirent l’égalité mais aussi être «un objet soumis dans les bras de leur partenaire». Est-ce

Photo d'une poupée gonflable japonaise "Frog Pillow".

Peut-on se dire féministe et vouloir plaire ? Certaines femmes désirent l’égalité mais aussi être «un objet soumis dans les bras de leur partenaire». Est-ce compatible avec l’indépendance ?

Dans un livre intitulé On ne naît pas soumise, on le devient (tiré de sa thèse en philosophie), la chercheuse Manon Garcia, analyse la théorie de Simone de Beauvoir au prisme des conflits qui agitent les femmes : beaucoup d’entre elles culpabilisent de vouloir être à la fois libérées et choyées. Dans la culture occidentale, une femme est forcément une créature soumise, qui aime être courtisée… Naturellement soumise, la femme ? Biologiquement dominateur l’homme ? Pas du tout, s’insurge Manon Garcia. Le problème, c’est que le modèle de la femme féminine (soumise) reste pregnant et cohabite avec le modèle antinomique de la femme émancipée. Comment faire pour s’en sortir ? Comment assumer sa «féminité» sans contradictions ? Réponses de Manon Garcia.

- Pourquoi est-il compliqué pour une femme d’accepter ses propres aspirations à la douceur, à la passivité ?

« Comme je le montre dans le livre, les femmes occidentales se trouvent prises entre deux types d’idéal - un idéal de féminité et un idéal hérité du libéralisme, au sens philosophique. En tant qu’individus, la société les invite à se vouloir libres, à avoir de l’ambition, à se considérer comme maîtresses de leur destin. Mais en tant que femmes, les normes sociales les invitent à être douces, affectueuses, à être passives - surtout en amour -, à ne vouloir rien d’autre qu’une vie domestique et amoureuse épanouie. Par conséquent, elles sont toujours en échec et se sentent toujours coupables : lorsqu’elles sont actives et ambitieuses, elles sont vues, et se voient elles-mêmes comme insuffisamment féminines, quand elles sont douces et passives, elles se sentent coupables de ne pas être plus libres et de risquer de renforcer des stéréotypes de genre dont elles voient bien qu’ils leur nuisent. C’est une situation où on perd quoiqu’on fasse ! »

- En Occident (comme dans beaucoup de cultures à travers le monde), les genres sont adossés à un schémas pré-établi : est homme la personne active, forte, solaire… Est femme la personne passive, froide, lunaire… Pour être «féminine», une femme n’a donc pas le choix : elle doit être soumise. L’homme non plus n’a pas le choix : il doit être dominateur. C’est cela ?

« Il faut faire très attention lorsque l’on utilise le vocabulaire du choix parce qu’il est étroitement lié à celui de la responsabilité. Pour faire vite, on se représente toujours le choix comme quelque chose de simple: on a le choix entre croissant ou pain au chocolat, entre T-shirt noir ou T-shirt blanc. Dans un tel cas, on a de bonnes raisons de penser que si l’on choisit le pain au chocolat contre le croissant, on est responsable de ce choix et de ses conséquences. Mais le problème c’est que la plupart des choix sont loin d’être aussi simples parce que les individus ont grandi et vivent en société et que la société nous prescrit certaines conduites. Les normes sociales, dont la féminité et la masculinité tels que vous les décrivez sont de très bons exemples, sont des règles de conduite en société, qui ne sont pas obligatoires - on ne va pas en prison si on ne les suit pas - mais qui sont telles que l’écart à la règle est puni. Typiquement, lorsque des femmes revendiquent une façon de vivre qui n’est pas en accord avec les normes de féminité - par exemple les femmes qui ne veulent pas être en couple hétérosexuel, ou qui ne veulent pas d’enfant - elles sont sanctionnées par la société. Or la féminité prescrit la soumission aux femmes. Par conséquent, les femmes ont un choix de se soumettre ou non mais ce n’est pas un choix comme le croissant ou le pain au chocolat : elles savent que si elles ne se soumettent pas, il faudra en payer le prix. Et ce prix est parfois rédhibitoire. Donc il s’agit d’un choix mais ce n’est pas un choix sans contraintes donc le lien entre choix et responsabilité ne va pas de soi. Certes, le prix que les hommes paient lorsqu’ils refusent les normes habituelles de masculinité peut être important, mais on ne paie pas le même prix lorsque l’on cherche à être libre que lorsque l’on ne veut pas dominer, c’est incomparable. »

- Dans la société occidentale contemporaine, ainsi que vous l’expliquez dans votre livre, les femmes ont développé une forte défiance à l’égard de la maternité, vue comme une forme d’aliénation. Simone de Beauvoir assimile même la maternité à une prise d’otage : quand je suis mère, mon corps ne m’appartient plus ?

Le point de vue de Beauvoir sur la maternité a été très critiqué pour sa radicalité mais parfois mal compris. Beauvoir dit deux choses : d’une part, selon elle, la partie physiologique de la maternité (l’accouchement, la grossesse et l’allaitement) est pour la femme l’expérience d’une lutte entre son individualité et l’espèce qu’elle permet de perpétuer. Pendant ces phases, il faut que la femme privilégie la perpétuation de l’espèce et l’enfant à venir sur sa propre préservation. Elle fait également l’expérience d’être autre qu’elle-même, de donner naissance à un autre qu’elle-même. Les hommes ne font jamais l’expérience d’une telle contradiction entre leur désir de conservation et la paternité. Avoir des enfants n’a pas quelque chose de physiquement terrifiant pour eux. D’autre part, pour Beauvoir, la maternité telle qu’elle est conçue à son époque est une aliénation parce qu’on pense qu’il faut que la femme fasse passer ses devoirs de mère avant tout le reste. Pour ces deux raisons, Beauvoir elle-même a décidé de ne pas avoir d’enfants. Mais cela ne veut pas dire qu’elle pensait que les autres femmes ne devaient pas en avoir.

- Dans notre société marquée par l’esprit des lumières, un individu se doit d’être autonome, ce qui met la femme en position inférieure. Résultat : beaucoup de femmes vivent comme un déchirement le fait d’être nées femmes. Elles veulent assumer leur féminité, mais elles veulent aussi y échapper… Pourriez-vous en donner quelques exemples ?

Dans le livre, je me sers de l’analyse que Beauvoir donne de la puberté des jeunes filles. Beauvoir montre que pour nombre de jeunes filles (et des études actuelles montrent que son analyse correspond encore aujourd’hui à une expérience très communément partagée), la puberté est l’expérience de se voir vue comme un objet de désir. La jeune fille fait l’expérience du changement de son corps parce qu’elle se fait soudain rappeler à l’ordre sur sa façon de s’habiller (les polémiques récentes sur les collégiennes que l’on empêche de porter des shorts est un bon exemple), ou parce qu’elle se fait suivre dans la rue, que des hommes beaucoup plus âgés qu’elle lui tiennent des propos déplacés sur son corps, quand ils ne la touchent pas contre son gré. Pour beaucoup de femmes, l’expérience de la féminité est chronologiquement d’abord celle-ci : celle d’être soudain visible non plus comme un individu mais comme de la chair, comme un corps sexualisé. Et pour beaucoup d’entre elles, cette expérience est inquiétante, étrange et elles voient bien que leurs frères et leurs amis en sont, dans l’immense majorité des cas, protégés.

- Est-ce que beaucoup de femmes en Occident ne souhaiteraient pas être « délivrées » de la féminité, c’est-à-dire délivrées de la maternité et délivrées de leur corps ?

« Il est important de distinguer plusieurs niveaux ici: sans doute que de nombreuses femmes voudraient être délivrées de la féminité telle qu’on la pense aujourd’hui. Mais ça ne veut pas dire qu’elles voudraient toutes qu’il n’y ait aucune forme de différence entre être un homme ou être une femme : on peut vouloir être délivrée d’une certaine notion de la féminité qui limite les possibilités d’existence des femmes, sans être contre une féminité émancipée. Dans tous les cas, toutes les femmes, loin de là, ne cherchent pas à être « délivrées » de la maternité : certaines ne veulent pas avoir d’enfants, mais d’autres veulent pouvoir avoir des enfants sans que le prix à payer soit si élevé pour elles. Si le congé paternité était aussi long que le congé maternité, si les pères étaient contraints à prendre soin de leurs enfants (c’est-à-dire par exemple, si la garde partagée était généralisée dans les cas non conflictuels et si les autres pères étaient forcés de payer avec régularité les pensions alimentaires), si le monde du travail était plus adapté aux parents, la maternité serait moins oppressive pour les femmes. »

- Ne sommes-nous pas dans une impasse quand nous en venons à ne pas pouvoir être des femmes sans honte ?

« Je consacre mon livre à l’étude de la soumission féminine parce qu’elle est à mon sens l’exemple le plus flagrant de ce que l’on peut appeler, de manière paradoxale, l’impossibilité d’être une femme. Les normes sociales de la féminité sont telles que les femmes échouent tout le temps: par exemple, les femmes soumises sont dévalorisées socialement parce qu’elles sont soumises et que l’on vit dans une société où la liberté est présentée comme la valeur centrale. Et les femmes qui refusent de suivre le chemin de soumission tracé pour elles sont souvent punies, que ce soit dans leur vie personnelle et amoureuse, ou dans le monde du travail. »

- Vous dites dans votre livre qu’il faudrait déculpabiliser les femmes : comment ?

« Mon travail repose sur la conviction que comprendre l’oppression est la première étape de l’émancipation. Comprendre qu’on ne sera jamais à la fois une mère parfaite, une amoureuse douce et sexy, une femme mince mais pulpeuse, etc., comprendre que ce sont là des injonctions contradictoires et face auxquelles on ne peut rien faire d’autre qu’échouer, on se sent déjà moins coupable! Penser la soumission permet de voir que ce sentiment de culpabilité est politique, qu’il est le fruit de l’organisation sexiste de la société. »

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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On ne naît pas soumise, on le devient, de Manon Garcia, éditions Climats, 2018.