Culture du viol en France

Il semble quand même qu’il y a un sérieux problème, dans ce pays, avec le viol et les victimes de viol. Bien que l’on s’en défende en poussant des cris d’orfraies, il n’y a qu’à voir la façon dont on traite les victimes lorsqu’elles osent parler enfin (« mais pourquoi a-t-elle attendu si longtemps ? » « Mais où sont les preuves ? » « la présomption d’innocence doit être appliquée ») pour se convaincre que quelque chose est pourri au royaume de France.

J’ai terminé il y a peu le livre de Vanessa Springora Le Consentement. Ce livre est édifiant tant il explique bien à la fois les méthodes utilisées par un prédateur pédocriminel que les réactions (ou l’absence de réaction) de ses victimes. C’est un récit détaillé qui ne laisse aucune place à la complaisance ou à l’apitoiement sur soi-même de l’auteure. Lorsque j’en ai parlé sur Facebook, j’ai été interpellée quant au fait qu’à ce jour il n’y a aucune plainte pour viol ou agression sexuelle contre Gabriel Matzneff, tout au plus une plainte d’associations pour apologie de la pédophilie. Evidemment il n’y a aucune plainte ! Les faits sont majoritairement prescrits et vu l’âge du prédateur, il y a peu de chance que l’on trouve des faits récents tombant sous le coup de poursuites… Ce qu’il y a de malsain dans la question « Mais où sont les plaintes ? », c’est qu’elle induit, de fait, qu’en l’absence de plaintes il n’y a pas de crime. Par cette simple question, on crache à la gueule des enfants dont cette ordure a abusé toute sa vie, le revendiquant dans ses livres et ses diverses interventions médiatiques.

J’en viens maintenant à l’affaire Polanski et à ce qu’il s’est passé lors de la cérémonie des Césars. J’ai longtemps été dubitative par rapport aux poursuites américaines contre Roman Polanski, essentiellement du fait que le procureur n’avait pas respecté l’accord qui avait été passé (la justice américaine est ainsi faite que les accords négociés évitent les procès, bien ou mal, il ne m’appartient pas d’en juger). Mais récemment, grâce au mouvement #MeToo, d’autres victimes se sont déclarées, toutes adolescentes au moment des faits. Cela démontre une récurrence de pratiques sur lesquelles il m’est impossible de fermer les yeux plus longtemps. Autant, récompenser les équipes techniques du film ou le film en lui-même ne m’aurait pas poser de problème, autant les deux césars qui ont récompenser directement le réalisateur me semblent indignes.

« Distinguer l’homme de l’artiste ! » Un leitmotiv que l’on a déjà entendu à propos de Bertrand Cantat, de Céline… Mais tout artiste puise dans ce qu’il est pour créer ! Pourquoi ne pas admettre que certains artistes non dénués de génie puissent être aussi de parfaits salauds ? J’ai lu hier, à propos des accusations pesant sur Polanski, « où sont les preuves, où sont les témoins ? » Ces questions peuvent s’appliquer à TOUTES les affaires de viol car les preuves -même avec examen médico-légal- ne sont pas toujours là (ce qui fait que beaucoup de violeurs plaident le rapport sexuel consenti), quant aux témoins… Les violeurs commettent rarement leurs crimes en public ! On peut être pervers en oubliant d’être con !

Mais ce qui me choque le plus dans tout cela, c’est le raccourci indigne qui tourne en boucle : « Si l’on attaque Roman Polanski sur ce qui lui est reproché, on est antisémite ». Cela, c’est tout simplement INDIGNE. Un salaud est un salaud, qu’il soit athée, catholique, protestant, musulman ou que sais-je encore. C’est indigne et dangereux car c’est le genre d’amalgame qui, pour le coup, nourrit l’antisémitisme. Je n’ai jamais été antisémite, et j’étais même une grande admiratrice de Roman Polanski. Pour autant, je n’arrive plus à lui trouver d’excuses. Parce que ce que toutes ces filles ont fini par dénoncer est inqualifiable.

Je terminerai en parlant des conséquences qu’ont pu avoir les mouvement #MeToo aux USA et #Balancetonporc en France (là aussi, c’est assez instructif sur la façon dont on perçoit les choses de ce côté-ci de l’Atlantique). Si des poursuites d’abuseurs sont engagées aux USA, aucune ne l’a été en France. Il a fallu attendre le livre de Vanessa Springora pour que cela commence à bouger un peu (perquisitions chez les éditeurs de Matzneff à la recherche de preuves), poursuites pour apologie de la pédophilie). Mais il ne faut pas oublier qu’il y a quelques mois, la seule personne poursuivie à été la femme victime qui a lancé le hashtag #Balancetonporc, qui s’est même vue condamner.

Alors oui, je le dis, ce pays est sclérosé par la culture du viol, qu’on l’admette ou pas et il faudra bien en sortir un jour. On ne peut continuer de reprocher aux victimes de ne pas parler, tout en les insultant lorsqu’elles le font. Nous ne nous tairons plus. Comme l’a écrit Virginie Despentes dans sa tribune publiée dans Libération « On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde. » (à lire entièrement en cliquant ICI)