Voyou récidiviste, René Bolliger grandit dans des foyers de redressement avant de devenir la coqueluche du tout-Paris, l’ami de Cocteau et l’auteur d’oeuvres clandestines dont la galerie
Voyou récidiviste, René Bolliger grandit dans des foyers de redressement avant de devenir la coqueluche du tout-Paris, l’ami de Cocteau et l’auteur d’oeuvres clandestines dont la galerie Au Bonheur du jour (Paris) dévoile la beauté.
Né à Lausanne (Suisse) en octobre 1911, René Bolliger n’est guère connu que des amateurs de curiosa. Il aurait pu, tout aussi bien, sombrer dans l’oubli. Son oeuvre est presque entièrement secrète, constituée d’ouvrages distribués sous le manteau, d’images confidentielles et d’illustrations dites «hors-commerce», qui circulent de façon parfaitement illégale entre les mains de riches amateurs dont René Bolliger cultive l’amitié dans le Paris nocturne des années 50 et 60. De ce noceur au passé de voyou, on ne sait presque rien. Il faut toute la détermination de Nicole Canet, créatrice de la galerie d’art Au Bonheur du jour (spécialisé dans l’homo-érotisme), pour sortir cet artiste de l’ombre.
Depuis plusieurs décennies, Nicole Canet collectionne les oeuvres de René Bolliger. En juillet 2020, pour la première fois, elle lui consacre une exposition – Les Beaux mâles – marquée par la publication d’un livre rempli d’images inédites et de documents rares. Ce livre (également intitulé Les Beaux mâles) apporte sur René Bolliger toutes les informations patiemment exhumée des archives, glanées au fil d’une longue enquête par deux chercheurs – Raphaël Matthew et Rolf Thalmann – avec qui Nicole collabore, animée par le même désir de sauver la mémoire d’un artiste méconnu.
Mon propre enfant en prison ?
De fait, le livre ne lève qu’«un peu» le voile : la vie de René Bolliger reste manifestement une énigme pour tous ceux qui le connaisse. Y compris pour sa propre mère. Dans la biographie, il est ainsi fait état d’une lettre qu’elle écrit au sujet de son fils, remplie de désarroi : quels que soient les moyens, amour ou sévérité, René n’a fait qu’empirer. Elle craint que son fils n’aille en prisono. La lettre date de 1928. René Bolliger a alors 17 ans, un caractère trouble, une enfance marquée par des accès de dépression, une scolarité chaotique, une timidité maladive, une forte propension à mentir et un orgueil à toute épreuve.
Graine de voyou
On veut faire de lui tantôt un jardinier, tantôt un employé commercial. L’enfant se rebelle, commet des larçins, multiplie les séjours en maisons de correction et en foyers pour mauvais garçons. La police le décrit comme moralement instable. René Bolliger est surtout révolté : on veut faire de lui un modeste citoyen ? Peut-être même un bon père de famille !? Lui SAIT qu’il a du talent. Lequel, il ne sait pas encore. Mais il aspire à un destin. A bout de ressources, l’administration judiciaire le place dans une clinique. C’est là, paradoxalement, qu’il trouve enfin sa voie.
Psychopathe homosexuel et moralement déficient
Lors du premier séjour en clinique, le verdict tombe : «psychopathe homosexuel et moralement déficient» Bien que les médecins le diagnostiquent mythomane, certains l’encouragent à dessiner. D’abord en auto-didacte, puis en élève aux cours de soir de peinture, René Bolliger se met à produire des oeuvres qui attirent peu à peu l’attention des amateurs. En 1949, il part à Paris, pour goûter à la vie de Bohême, obtient l’appui de Cocteau, fréquente les cabarets et devient une figure de la jet-set des sixties.
«Un dessin racé aux accents justes et palpitants»
Officiellement, Bolliger est connu pour ses gravures de chevaux. Son renom, à l’époque, vient de ce qu’il croque à merveille les croupes musclées de montures tenues par des éphébes nus. Les critiques d’art vantent la puissance «racée» de ses équidés, sans trop s’appesantir sur la puissance non moins palpitante des jeunes garçons qui mâtent les bêtes. Mais personne n’est dupe. Sa véritable renommée, Bolliger se la taille dans l’ombre : dans les milieux qu’il fréquente – où se croisent poètes, dandys, stars et fêtards –, René Bolliger devient par excellence le maître des copulations viriles. Ses ardoises griffées à la pointe de diamant et ses dessins à la sanguine sont peuplées de malabars souriants, de matelots déculottés et de «noirs macrophalliques» aux étreintes joyeuses. Il fait de ces corps à corps la matière d’une production souvent «à la commande» : ses travaux sont faits en exemplaires unique et s’écoulent sur le marché de l’art interdit.
Un pied dans la jet set
A cette époque, René Bolliger semble heureux. Il est l’ami de Nicole Barclay (seconde épouse du célébrissime producteur Eddie Barclay), il fréquente Olivier Lange le roi des nuits parisiennes et il fait partie des intimes de Tonton (alias Gaston Baheux) «mythique patron de plusieurs boites de nuit dont le Liberty’s bar […] qui verra en ses murs défiler, Colette, Cocteau, Piaf, Mistinguett, Francis Carco… Haut lieu des nuits parisiennes où se côtoient gays, travestis, personnalités du spectacle, princes et princesses du gotha, actrices hollywoodiennes… Très vite l’endroit devient pour les habitués simplement… chez Tonton.» Il figure même sur une photo aux côtés de Guy Lux (l’animateur TV) et d’une Miss France 1966. D’où vient alors que René Bolliger soit retrouvé mort à Berlin en 1971 ? Et de quoi est-il mort ?
Bolliger «peintre, sans demeure fixe»
«Dans le registre des décès de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, on lit, en date du 23 mai 1971, l’inscription suivante : “René Bolliger, peintre, sans demeure fixe”. Que faisait-il en Allemagne à cette époque ?». Les auteurs de l’ouvrage l’ignorent. Une seule chose de sûre : dispersée dans des collections, longtemps mise au secret, l’oeuvre de René Bolliger a failli rester inconnue du grand public. De lui, les musées n’ont presque rien : trois dessins se trouvent au Kunstmuseum de Bâle. Le Sex Museum Venustempel d’Amsterdam conserve un exemplaire illustré par lui du poème Hombres (Verlaine). «L’un des plus important fonds d’œuvres de René Bolliger est détenu par la galerie parisienne de Nicole Canet, Au Bonheur du Jour.» Ce fond est maintenant dévoilé, sous la forme d’un livre en édition limitée et d’une exposition, du 1er juillet au 26 septembre 2020, à Paris.
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Article sponsorisé par Tatiana
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Les Beaux Mâles, dessins érotiques 1950-1970 de René Bolliger. Tirage limité à 500 exemplaires dont 20 hors-commerce. Relié – 272 pages – 180 illustrations. Format 21 x 27 cm. Textes de Florent Paudeleux et Nicole Canet. Biographie de Rolf Thalmann et Raphael Matthey. Éditions Galerie Au Bonheur du Jourédition limitée à 500 exemplaires, 272 pages, 180 dessins.
A VOIR : Les Beaux Mâles, exposition du 1er juillet au 26 septembre 2020. Au Bonheur du jour : 1 rue Chabanais - 75002 Paris. Tel. 01 42 96 58 64. Du mardi au samedi 14h30-19h30.