Autrefois, les femmes étaient assujetties au statut de mère. Jusqu’à ce que la pilule mette fin à leur esclavage… C’est ainsi qu’on nous apprend
Autrefois, les femmes étaient assujetties au statut de mère. Jusqu’à ce que la pilule mette fin à leur esclavage… C’est ainsi qu’on nous apprend l’histoire. Comment se fait-il alors que certaines féministes dénoncent le «diktat» de la contraception ?
A l’âge de 30 ans, l’Américaine Emily Witt fait le point sur sa vie de jeune célibataire libérée, active et sexy. Mais pourquoi ce sentiment de vide ? «On a tendance à considérer que les technologies sont développées pour répondre à nos besoins, dit-elle, mais il arrive que nous adaptions nos attentes à la technologie dont nous héritons. Ceci est particulièrement vrai pour la contraception […]. Aujourd’hui, une Américaine sur cinq n’a pas d’enfants, contre une sur dix dans les années 1970. Les enfants sont de plus en plus considérés comme des choix. J’approche actuellement un âge où, si je ne fais pas de bébé, j’aurai choisi de ne pas en avoir. Je me pose la question : ai-je fait ce choix ?».
Ne pas tomber enceinte avant d’avoir un CDI
En France, grâce à la loi Neuwirth qui légalise fin 1967 les moyens contraceptifs (1), le contrôle des naissances est la norme que nous observerons pendant une grande partie de notre vie d’adulte. Nous n’arrêterons la pilule (les implants, les préservatifs, etc) que le temps d’avoir un enfant, ou deux. C’est-à-dire, idéalement, quand nous aurons trouvé un amoureux et un travail. Grâce à la technologie de la contraception, nous pouvons maintenant décider du bon moment. N’est-ce pas cela la liberté ? Pas forcément. Dans son essai sur les technologies –Future Sexe– Emily Witt dénonce les dérives : aux Etats-Unis, dit-elle, le piège se referme… Le fait que la contraception existe conduit les employeurs à fixer leurs conditions : je vous embauche, à condition que vous ne tombiez pas enceinte trop vite. Les femmes sont tenues de rester stériles, c’est-à-dire performantes et rentables. Les impératifs de rendement poussent un nombre croissant d’entre elles à retarder l’instant de tomber enceinte. Problème : plus une femme vieillit, moins elle est fertile.
Reporter la maternité, oui, mais…
A 40 ans, une femme n’a plus que 40 à 45% de chances de tomber enceinte. «Un soir du mois d’août 2015 où il faisait une chaleur étouffante à Manhattan, j’ai suivi une amie dans sa chambre. J’ai lu les instructions pendant qu’elle préparait l’injection puis je me suis assise sur son lit […]. Elle a enfoncé l’aiguille. Puis elle s’est assise sur le lit, très pâle. Les spécialistes de la fertilité qu’elle consultait appelaient cette dose massive d’hormones l’“injection de déclenchement”. Après des jours de préparation, l’injection obligeait ses ovaires à libérer plusieurs ovocytes d’un coup. La réussite est attestée par un test de grossesse positif le lendemain, une pseudo-grossesse indiquant le taux d’hormones de synthèse dans son sang. Trente-six heures après l’injection, j’ai accompagné mon amie à une clinique de Manhattan où ses ovocytes ont été “récoltés” puis cryogénisés. L’infirmière nous avait briefées sur les “visages tristes” de la salle d’attente, des femmes dont les traitements avaient échoué.»
Repousser l’horloge biologique : à quel prix ?
Ainsi qu’Emily Witt le découvre, les enjeux financiers sont énormes. Plus longtemps les femmes restent stériles, plus il y a de l’argent à se faire sur leur utérus. En 2012, la FDA autorise la congélation des ovocytes. En 2013, 5 000 femmes y recourent. «Ce nombre devrait atteindre 76 000 par an d’ici 2018, raconte Emily Witt. En 2014, Facebook et Google annoncent leur volonté de prendre en charge les frais médicaux de leurs employées ayant opté pour la congélation de leurs ovocytes. Mes amies les plus aisées s’y sont mises en 2015 en payant de leur poche. Un cycle de congélation d’ovocytes coûte environ 10 000 dollars, plus 500 dollars de frais annuels pour leur préservation. La production et le prélèvement des ovocytes nécessitent parfois plus d’un essai. Et si une femme décide plus tard d’essayer de tomber enceinte en se faisant implanter ses ovocytes congelés, elle devra débourser plusieurs milliers de dollars supplémentaires pour une fécondation in vitro. Comme dans toute fécondation in vitro, la plupart des tentatives échouent.»
Le progrès au service du profit
A l’instar d’Emily Witt, la plupart des médias dénoncent le phénomène en termes ambivalents : la cryoconservation d’ovules pour des raisons médicales paraît légitime.Mais pour des raisons de confort personnel ? En 2014, la revue Grazia titre : «De plus en plus d’Américaines congèlent leurs ovules le temps de faire carrière…» Jessica Bennet, célèbre chroniqueuse du New York Times, présente la congélation des ovocytes commeun immense facteur d’égalisation homme-femme, l’ultime coup de pied au «carcan biologique». Maintenant, dit-elle, les femmes peuvent réussir professionnellement ET fonder une famille. D’autres revues –comme Marie Claire– présentent l’autoconservation ovocytaire comme un «combat» contre «la dictature de l’horloge biologique». Celles qui font «congeler leurs gamètes» sont des célibataires qui refusent de s’engager trop vite. Elles veulent pouvoir, comme les hommes, faire des études poussées, se consacrer à leur métier puis… trouver le bon partenaire. «J’ai eu plusieurs histoires avec des hommes mais aucune n’a abouti», raconte l’une d’entre elles.
20% des femmes mentionnent leur carrière comme raison n°1
En 2017, une Commission d’éthique, en Suisse publie un rapport éclairant sur les raisons invoquées par les femmes ayant recours au «social egg freezing» (2) : «plus de la moitié d’entre elles indiquent le gain de temps “reproductif”, qui leur permet aussi de trouver un partenaire pour fonder une famille. De nombreuses femmes aimeraient se libérer, par le biais de la cryoconservation, de la pression de devoir s’engager le plus vite possible dans une relation pour fonder une famille. […] Seuls 20 % des femmes mentionnent explicitement leur carrière comme raison principale de la cryoconservation.» Ainsi qu’il ressort de ce dossier, c’est le «besoin de se sentir prête» qui motive les clientes des centres de procréation médicalement assistée. Mais pour quel résultat absurde ? «C’est comme si nous avions transformé un processus simple en quelque chose d’incroyablement compliqué, se moque Emily Witt. Il y avait ces corps, mûrs pour la reproduction, protégés de la reproduction puis finalement stimulés pour une reproduction congelée.»
L’amour ne se planifie pas «alors que l’ovulation, si»
«Mes amies, la trentaine, des carrières professionnelles brillantes, choisissaient cette option parce que les événements de la vie ne s’étaient pas enchaînés comme elles l’avaient prévu. Elles excellaient dans leur boulot. Elles vivaient dans de beaux appartements et gagnaient assez d’argent pour fonder une famille sereinement mais il leur manquait un compagnon qui leur procurerait le matériel génétique nécessaire, un soutien à vie et de l’amour. Elles voulaient suivre le modèle de leurs parents, mais l’amour ne se planifiait pas – alors que l’ovulation, si.» En quelques phrases cinglantes, Emily Witt dénonce l’absurdité du système qui force des femmes fertiles à se stériliser puis qui les force à subir de douloureux, coûteux et désespérants traitements médicaux pour procréer. Tout cela au nom d’un planning, déterminé en grande partie par des impératifs économiques. Mais où est «le choix» ?, proteste Emily Witt : «le prolongement infini de la fertilité est une fausse proposition d’avenir».
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Article sponsorisé par Tatiana
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Future Sexe, d’Emily Witt, éditions Seuil, 2017, traduit par Marie Chabin.
Mon corps ne vous appartient pas, de Marianne Durano, Albin Mchel, 2018.
NOTES
(1) Bien que la loi Neuwirth soit votée en 1967, la pilule reste très difficile à obtenir jusqu’en 1973, car les décrets légalisant l’application de la loi ne sortent que très lentement, au compte-gouttes. Pour en savoir plus : « Les espoirs déçus de la loi Neuwirth », de Sophie Chauveau, dans: Clio, n°18, 2003, Mixité et coéducation, p. 223-239.
(2) Le social egg freezing désigne la congélation préventive d’ovules non fécondés sans raison médicale.