Parmi les divertissements, au Japon, il y a les amoureuses virtuelles. Ces jolies filles, disponibles sur Internet, discutent en ligne et jouent avec les hommes qui, en
Parmi les divertissements, au Japon, il y a les amoureuses virtuelles. Ces jolies filles, disponibles sur Internet, discutent en ligne et jouent avec les hommes qui, en échange les «sponsorisent». Mais comment vivre l’amour avec elles ?
Le salaire de l’amour
Lorsqu’elles travaillent en indépendantes, les VTubeuses n’ont guère d’autre moyens de survivre : leurs fans doivent les «sponsoriser». « Elles ont deux types de revenus, explique Deat (le premier VTuber français). L’abonnement et les donations, dont le montant varie suivant leur popularité. » Plus une VTubeuse est aimée, plus elle a de membres inscrits : chaque membre paye 5,95 euros/mois pour avoir le privilège d’en savoir plus sur son idole. Les fans inscrits ont en effet accès aux informations personnelles sur la VTubeuse, mais surtout l’exclusivité des Live Streamings qui leur permettent, presque chaque jour, de discuter avec elle. Pendant ces sessions, la VTubeuse répond aux questions qu’ils lui envoient, par écrit, sur la boîte de dialogue. Parfois, elle joue à des jeux vidéos qu’elle commente en direct. Parfois, elle fait du karaoke. Parfois de l’ASMR.
Payer une animatrice de Live Streaming : combien ?
Parfois elle fait rire ses auditeurs en se donnant des défis : interpréter des héros de dessins animés, imiter des cris d’animaux ou appeler des gens au hasard, en utilisant des applications (KoeTomo ou Saitô-san) qui permettent de téléphoner à des inconnu-es tout en gardant son anonymat. Dans une de ses vidéos les plus célèbres, Mirai Akari se met d’abord en tête de faire dire le mot «sein» à ses interlocuteurs. Elle est connue pour ses blagues grivoises, qui tranchent avec son style «féminin». Son identité réelle relevant du secret, il n’est d’ailleurs pas certain qu’Akari soit une femme. Le fait qu’elle soit peut-être un homme ne semble cependant pas gêner ses adorateurs. Lors des sessions de dialogue en direct, pour lui prouver leur attachement, ils envoient des dons qui dépassent parfois 30 000 yens (300 euros).
Le poids des mots, le choc des cadeaux
«Quand un fan envoie un don (ce qu’on appelle un SuperChat), il l’accompagne généralement d’un message. Le message apparaît dans un bloc de couleur qui attire l’attention. Plus le don est élevé, plus la couleur devient intense. » Un don de 200 yens (2 euros) : couleur verte. 1000 yens (10 euros) : orange. 5000 yens : rouge. Ainsi que Deat le souligne, non seulement la couleur se réchauffe –de plus en en plus ardente–, mais le temps durant lequel le message apparaît se rallonge. « Plus le don est élevé, plus il reste longtemps visible, ce qui permet à tous de lire le message », résume Deat. Le message peut donc prendre la valeur, littéralement, d’une véritable offrande. « Je vous aime» (suki desu ), écrit un fan. «Je vous offre mon coeur. Disposez-en à votre gré» ( shinzô wo sasagemasu. Go-jiyû ni dôzo), écrit un autre.
«Vous écouter me fait palpiter »
Ces déclarations, bien sûr, ne sont pas dénuées d’une part d’amusement ironique. Certains fans trouvent visiblement plaisir à mimer l’amoureux transi. « Etant malade d’Akari-sensei, je mourrais si je n’entendais pas son ASMR », écrit un auditeur, qui a offert 10 000 yens. La somme peut sembler bien exagérée au regard de ce message moqueur. Mais personne n’est dupe. Les mots sont trompeurs, autant que les apparences ou les voix synthétiques des VTubeuses. L’amour pour la VTubeuse, en revanche, est concret, autant que l’argent dépensé pour elle. Que cet amour soit adressé à un personnage de fiction peut sembler vain, en apparence. Un amour à sens unique ne relève-t-il pas de la folie ? Les fans affirment que non.
Aimer une VTubeuse, c’est dans l’absolu
«Les fans de VTubers sont conscients que leurs idoles sont des personnages animés par des individus et non pas des créatures douées d’une conscience autonome , explique Ludmila Bredikhina, VTubeuse sous le nom de Mila et chercheuse spécialisée en nouvelles technologies. Comme dans le théâtre de marionnette, le public se laisse sciemment “enchanter” ». Avec les VTubeuses, ajoute-t-elle, dissociant le réel de la fiction, les fans font comme s’il existait un autre monde dans lequel aimer serait aimer dans l’absolu. Liudmila Bredikhina compare cet effet volontaire d’illusion, avec celui produit par les jardins zen : « Il n’y a pas d’eau dans les jardins zens, mais les spectateurs sont invités à voir de l’eau symbolique dans la disposition du gravier et des roches .» Il n’y a pas d’amoureuse derrière la VTubeuse mais, sur un plan de réalité supérieure, Mirai Akari existe, avec un vrai coeur.
.
MIRAI AKARI (ミライアカリ) : Compte Twitter ミライアカリ(Mirai Akari)@MiraiAkari_prj / Chaîne YouTube : Mirai Akari Project / Site officiel de Mirai Akari.
DEAT :Tracking Worldhttp://deatrathias.net/TW/ / SeeFacehttps://www.vseeface.icu/ / Compte Deat@Tracking World/ Chaîne YouTube : Escapades Virtuelles de Deat
MILA : Compte Mila@BredikhinaL / Chaîne YouTube : Mila / Academia : Liudmila Bredikhina
VIDEO 1 : La vidéo d’ASMR que je me suis permis de mettre en ligne ici s’intitule 着信履歴 あなたの彼女 ミライアカリより (Un appel personnel de ta petite copine Mirai Akari) et a été diffusé le 21 octobre 2019.
VIDEO 2 : cette vidéo s’intitule 初!ASMR生放送やっちゃいます!(Première fois ! Faisons du Live ASMR) et a été diffusée en direct le 14 juin 2019.
VIDEO 3 : cette vidéo s’intitule 初体験!あなたと繋がりたい!!【MiraiAkariProject#006】(Première expérience ! Je crée un lien avec toi - Mirai Akari Projet 006) a été diffusée le 11 novembre 2017.
.
POUR EN SAVOIR PLUS : le colloque international “Desired Identities. New Technology-based Metamorphosis in Japan”, en accès libre sur la Chaine YouTube du musée du quai Branly-Jacques Chirac, aborde le phénomène “kyara-ka” (transformation en personnage fictif) ainsi que les stratégies et pratiques numériques liées à la présentation de soi : avatar, vocaloid, e-cosplay, VTubing... Organisé par le groupe de recherche européen EMTECH, en collaboration avec le département de la recherche du musée du Quai Branly, ce colloque se déroulait en LiveStreaming les samedi 27 et dimanche 28 juin 2020.
POUR EN SAVOIR PLUS : Port du masque : danger, perte d’identité ? ; Faire «l’expérience d’un allaitement virtuel» ? ; Qui se cache derrière cette fille ? ; Japon : le boom des travestis virtuels ; L’industrie des petites copines en ligne.
Cet article a été réalisé dans le cadre du projet de recherche européen Emotional machines: The Technological Transformation of Intimacy in Japan (EMTECH), à Freie Universität Berlin.