De la peur de l’avenir

Depuis déjà quelque temps, on voit fleurir sur Facebook des photos anciennes de communes. Photos et cartes postales, souvent du début du XXe siècle, qui suscitent grand nombre de commentaires nostalgiques : que c’était beau, bien mieux qu’aujourd’hui !

Les gens semblent avoir oublié beaucoup de choses ! Que c’était beau – en parlant des lieux… Que ces dames étaient belles ! Ah bon ? C’était si bien que cela la terre battue dans les rues, qui se transformait en bourbier aux moindres pluies ? C’était si bien que cela, les eaux usées qui s’écoulaient souvent – si ce n’est toujours – dans les rues, avec la propagation des maladies inhérente ? Elles étaient si belles que cela, ces jolies dames corsetées à ne plus pouvoir en respirer, qui ne pouvaient rien faire sans l’autorisation de leurs maris ?

Mes parents, ronchampois de naissance, n’avaient aucune nostalgie du Ronchamp de leur enfance. Oui certes, il y avait des commerces et des industries, mais tous deux s’accordaient à dire que la cité minière était sale, que tout y était noir, encrassé par la poussière du charbon qui était partout.

Cette nostalgie galopante que l’on voit sur les réseaux est en lien direct avec la peur de l’avenir. Lorsque l’on est confiant, on ne se retourne pas en arrière pour dire que c’était mieux avant. On regarde ces souvenirs de façon attendrie certes, mais sans désir de revenir en arrière. On va de l’avant. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, aller vers l’avant n’a rien de réjouissant tant il apparaît de plus en plus probable que la catastrophe est au bout du chemin. Alors on se replie sur le passé qui n’en est pourtant pas exempt : ces belles dames corsetées et portant ombrelles, ces hommes endimanchés avec leurs faux cols en celluloïd étaient à la veille de la Première Guerre mondiale… Tous allaient connaître la barbarie des deux grandes boucheries de leur siècle…

Que l’on ne s’y trompe pas, j’aime les vieux clichés, j’aime l’histoire. Parce qu’à travers eux, je perçois comment ont pu vivre mes aïeux, et aussi parce que l’histoire aide à comprendre le monde actuel. Mais je ne suis en rien nostalgique et ne voudrais à aucun prix revenir à ces époques plus ou moins lointaines où la vie n’était vraiment belle que pour les classes supérieures et où les gens de ma condition trimaient dès leur plus jeune âge dans des conditions dignes de bêtes de somme. Et cela même si l’avenir n’a jamais été aussi incertain et le ciel chargé de nuages n’annonçant rien de bon. Notre monde actuel est au bord du gouffre, mais ce n’est certainement pas en s’émouvant sur le passé que nous éviterons le pire, mais en pensant l’avenir. Malheureusement, qui aujourd’hui – parmi nos intellectuels ou prétendus tels – pense cet avenir ? Personne, hélas.