@ Arthur de Pins, pour “Osez tout savoir sur le SM”, La Musardine, 2004.

Le consentement, c’est pouvoir dire clairement «Non» quand on n’a pas envie. Sauf que le mot «Non»

@ Arthur de Pins, pour “Osez tout savoir sur le SM”, La Musardine, 2004.

Le consentement, c’est pouvoir dire clairement «Non» quand on n’a pas envie. Sauf que le mot «Non» n’est parfois pas adéquat. Dans le cadre de relations SM, par exemple, le mot «Non» est un ingrédient érotique de la relation. Comment dire stop, alors ?

Il existe des moments dans la vie où quand vous dites «Non», vous n’avez surtout pas envie que l’autre vous prenne au mot. «Le sadomasochisme est l’exemple le plus banal de cas où le fait de dire “Non” contribue à renforcer le caractère sexuel d’une situation», explique l’anthropologue Don Kulick. Dans un article intitulé «No» (publié en 2003 dans la revue Language & Communication), le chercheur suédois s’attache à montrer que le mot «Non» n’est pas en soi suffisant pour marquer qu’on souhaite faire cesser quelque chose… Dans le cadre du SM, il faut trouver un autre mot.

Quand le SM, ce n’est plus du «jeu»

«Les manuels de SM font fréquemment allusion à ce qu’ils appellent un safeword. C’est un mot ou une phrase décidée à l’avance, avant le début d’une séance sexuelle, pour marquer son arrêt au cas où l’un des deux souhaite stopper une pratique. La chose la plus importante à savoir concernant le choix du safeword c’est qu’il exclut d’emblée le mot “Non”». Pourquoi ? En guise d’explication, Don Kulick s’amuse à citer un dialogue d’un manuel SM américain datant de 2001 (The New bottoming Book), ce qui donne l’échange suivant :

Top [supérieur] : «Il me semble que tu mérites une bonne fessée à la brosse à cheveux, petite pute.

Bottom [inférieur] : «Non ! Je vous en prie ! Pas la brosse à cheveux !»

Le manuel ajoute que, «le Top ne dispose d’aucune indication claire quant aux sentiments réels de la personne dominée.» C’est-à-dire que la «proie» peut très bien s’ennuyer mortellement (ce qui est compréhensible). Ou, au contraire, éprouver une très forte excitation (sait-on jamais). Ou traverser une crise de peur panique à l’idée d’être fessée avec la brosse à cheveux (ça arrive). Le manuel conclut : «La raison pour laquelle nous avons besoin d’un safeword c’est que nous faisons souvent semblant de ne pas vouloir subir les choses merveilleuses qui nous sont faites et que nous n’hésitons jamais à crier “Non, non, non, non”, raison pour laquelle le safeword ne doit surtout pas être “Non”.»

A la recherche d’un Safeword adéquat

Effectivement, ce serait dommage que la personne dominante arrête au premier «Non», sous prétexte d’éthique. Un autre manuel (Consensual Sadomasochism, 1996), cité par Don Kulick, précise «Si une personne dominée n’avait qu’à dire “Stop” pour mettre fin à une scène sexuelle, l’illusion que la personne dominante possède le contrôle absolu serait mise en danger.» Traduction : il importe que les supplications, les cris et même les larmes de la personne dominée ne soient pas prises en compte comme des motifs suffisants pour arrêter une séance, car ces cris et ces larmes font partie du scénario. La mise en scène implique qu’il y ait véritablement de la douleur, de la souffrance et des franchissements de limite. Autrement, ce ne serait plus du SM mais un théâtre bouffon dénué de tout enjeu. Sans aller aussi loin, Don Kulick se contente prudemment d’expliquer que le mot «Non» chez les sadomasochistes pourrait se traduire «Encore» ou «Oh oui, c’est bon». Comment faire, dans ce cas, pour signaler un vrai refus ? Etant donné qu’on ne peut pas dire «Non», on choisit un mot bizarre : «Certains manuels recommandent des mots discordants comme “Radis” ou “Cornichon” ou bien des mots qui évoquent les feux de circulation : “Jaune” signifiera “Plus doucement” et “Rouge” signifiera “Stop”.»

Mayday, Fraise, Rouge, Radis, Cornichon ?

En France, l’expression Safeword est traduite «Mot d’arrêt» ou «Mot d’alerte». Dans son Dictionnaire du SM (publié en 2016 aux éditions La Musardine), Gala Fur –célèbre dominatrice parisienne, réalisatrice de documentaire et auteure– définit ainsi le «Mot d’arrêt» : «L’une des règles du BDSM est de choisir un mot qui mettra immédiatement fin à un jeu ou à une pratique lorsque la personne soumise le prononcera haut et fort, en particulier s’il s’agit d’un jeu à risque (edgeplay). Les Anglo-Saxons utilisent souvent le mot de détresse des marins «mayday», mais on peut employer «stop», «fraise», «rouge» comme dans Cinquante Nuances de Grey ou tout autre mot d’alerte convenu entre les partenaires.» Gala Fur prône l’usage des règles de sécurité. Et tant pis pour le ridicule. Prononcer le mot «fraise» en plein milieu d’une séance de cul vaut mieux que finir aux urgences. Mais Gala Fur a aussi tout à fait conscience que beaucoup de pratiquants (en France) refusent le ridicule et dénoncent ce qu’ils appellent «le tout sécuritaire» :«rebelles à cette nouvelle norme, [ils] confessent ne pas employer de mot d’arrêt, affirmant que leur-s partenaire-s et eux-mêmes sont suffisamment responsables pour s’en passer», résume Gala Fur.

Le SM comme du ski hors-pistes

Pourquoi refusent-ils les ceintures de sécurité ? Certains répondent que «les safewords, c’est bon pour les débutants. Quand on se connaît bien, on sait à quel moment s’arrêter : les cris ne sont plus les mêmes, ni les mouvements du corps

Par ailleurs, se moquent-ils, le safeword ne sert souvent à rien : comment mettre fin à une séance de SM avec une cagoule sur la tête ? Un bâillon dans la bouche ? Le mot d’arrêt est insuffisant.

Sans compter qu’il existe des soumis dangereux ou des esclaves folles qui pratiquent le SM des cîmes et refusent d’écouter leur corps : ils et elles repoussent les limites. C’est au Top de deviner quand la mesure est pleine.

Il y a, à l’inverse, des soumis douillets et des esclaves appelées «smart-ass» qui prennent plaisir à prendre en faute leur Top en geignant pour une écorchure avec une sorte de plaisir sadique : troubler le jeu les amuse. Ils-elles veulent que le Top les mette au pas, leur impose sa loi. Si on leur donnait un safeword, ils s’en serviraient à tout bout de champ.

«Une maîtresse, c’est Hitchcock, en jarretelles»

C’est probablement la raison pour laquelle certaines dominatrices professionnelles refusent, elles aussi, d’employer un mot d’alerte. Dans son Dictionnaire du SM, Gala Fur cite notamment Maîtresse Françoise : «Lorsqu’ils arrivaient avec des programmes écrits, je les déchirais. Je préférais les découvrir par des questions indirectes. Je refusais les mots d’arrêt. Hitchcock arrêterait-il de faire peur si vous le lui demandiez ? Eh bien une maîtresse, c’est Hitchcock, en jarretelles, la queue rentrée.» (Françoise Maîtresse, Annick Foucault). Se soumettre implique une part de renoncement. Et même si, bien sûr, le jeu implique deux adultes consentants, ainsi que des accords conclus au préalable, la «proie» reste une proie. Même si elle prononce un mot d’alerte, il est probable que le-la Top n’arrêtera pas dans la seconde, mais marquera –pour la forme– deux ou trois traits supplémentaires afin de mettre les choses au point. Qui c’est qui dirige ici ?

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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«No», de Don Kulick, dans: Language & Communication, 23, 2003, p. 139-151.

Dictionnaire du SM, de Gala Fur, éditions La Musardine, 2016.

Osez tout savoir sur le SM (nouvelle édition), de Gala Fur, éditions La Musardine, 2018.

CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER EN TROIS PARTIES : «Pourquoi dire Non: pour exciter le mâle ?» ; «Un gay vous drague: que faites-vous ?» ; «Pourquoi certain-es soumis-es crient Cornichon»

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