Qoobo (c) Yukai.

Venu du Japon, un chat sans tête robotisé devrait bientôt sortir sur le marché de la «thérapie par la queue». Ce chat en forme de coussin, muni d’une queue

Qoobo (c) Yukai.

Venu du Japon, un chat sans tête robotisé devrait bientôt sortir sur le marché de la «thérapie par la queue». Ce chat en forme de coussin, muni d’une queue programmée pour réagir aux caresses, est destiné aux personnes qui aiment… communiquer en silence.

Etes-vous allergique aux poils ? Souvent absent.e ? En manque d’un animal affectueux ? Qoobo devrait répondre à vos besoins. Son nom se prononce koubo, jeu de mot sur «cool» et «robot». Sur le site de pré-vente (Kickstarter) où vous pouvez passer commande, Qoobo est présenté comme «un robot thérapeutique en forme de coussin avec une queue. Quand vous le caressez, sa queue s’agite doucement. Quand vous le frottez, elle bat la cadence avec entrain. Quand vous ne le touchez pas, il lui arrive de faire un petit balancement juste pour dire bonjour. Cette façon de communiquer sans parler, propre aux animaux, vous réchauffera le coeur. Grâce à la thérapie par la queue [shippo serapî], faites de chaque jour une cure apaisante.» Disponible en deux couleurs (gris et marron), pesant 910 grammes, Qoobo coûte 10 000 yens (77 euros) et fonctionne sur une batterie avec 8 heures d’autonomie.

Un robot-peluche aux airs de Totoro

Bien que Qoobo n’ait ni pattes, ni tête, il semble susceptible de créer un attachement et présente l’avantage de ne pas se faire les griffes sur le canapé, ni de crotter la moquette, ni de miauler en pleine nuit. Il n’a pas besoin d’être nourri et vous épargne les frais vétérinaires. «Si vous avez besoin d’un peu d’amour dans votre vie, mais que vous ne pouvez pas vous permettre l’adoption d’un animal, Qoobo est une solution qui vous permettra en outre de vous entraîner [aux caresses]». Créé par la compagnie Yukai, basée à Tôkyô, ce robot-coussin interactif constitue un substitut idéal aux chats ou aux chiens qui sont souvent interdits dans les immeubles résidentiels au Japon. Il apporte le bénéfice d’une simili-présence et, par ailleurs, vous pouvez très bien le garder sur vos genoux pour vous réchauffer ou dormir avec la nuit comme si c’était un oreiller.

Animaux familiers interdits en appartement

La principale raison pour laquelle ce genre de robot peut avoir du succès au Japon tient bien sûr au prix des loyers, bien plus élevés pour les propriétaires d’animaux, et à la difficulté de trouver un logement adapté. Les appartements de location qui acceptent les animaux restent rares. Ce qui explique en partie le succès des robots de compagnie : dans les grandes villes de l’archipel nippon, tout le monde ne peut pas se permettre de posséder un animal familier. Beaucoup en sont réduits aux expédients : ils fréquentent des cafés à chat (Neko cafe) pour s’immerger dans les minous. D’autres louent un petit chien à la journée, pour pouvoir faire une promenade avec lui. Mais que faire si on veut ramener l’animal chez soi ? Qoobo offre une solution. Curieusement, les réactions à l’étranger sont négatives. «Faut-il être triste et malheureux pour s’en acheter un», commentent des internautes.

«Un coussin à queue pour soigner votre coeur»

Vu d’Occident, Qoobo est «pathétique». Le slogan lui-même dégage quelque chose de très mélancolique : «Un coussin à queue pour soigner votre coeur». Faut-il être à ce point seul.e pour se satisfaire d’une peluche à caudale automatisée !? Les stratégies marketing utilisées au Japon pour vendre des outils high-tech sont souvent mal comprises à l’étranger. Celles du Qoobo renforcent comme à dessein l’image misérabiliste qu’on se fait du Japon : un pays peuplé de personnes seules, forcées de reporter leur affection sur des produits high-tech. «Mais quelle désolation !?», est-on tenté de dire. Il serait cependant réducteur d’interpréter le succès des robots-peluchesà la soi-disant «perte d’appétit sexuel» des jeunes japonais.es ou à leur prétendue «apathie romantique». Le problème, ainsi que le soulignent un nombre croissant d’économistes, c’est que depuis l’explosion de la bulle économique dans les années 1990, les salaires ont baissé et les emplois sont devenus précaires.

La peur de s’engager

A cause de la crise, il est devenu très compliqué de fonder un foyer au Japon : il faut gagner au moins 4 millions de yens par an (soit 30 133 euros) or seuls 15,2% des hommes dans la vingtaine gagnent cette somme ou plus (1). Un nombre croissant d’hommes est donc exclus du marché matrimonial. Parallèlement, un nombre croissant de femmes refuse de se marier, c’est-à-dire de perdre son indépendance financière pour se mettre au service d’un mari. Renonçant au rêve collectif de la félicité conjugale, ces hommes et ces femmes qui font le «choix» du célibat n’ont cependant pas l’impression d’avoir réellement eu le choix. D’un côté, ils et elles aspirent à une histoire d’amour. D’un autre, ils et elles ne veulent pas s’engager, craignant de s’investir dans une relation promise à l’échec. C’est bien beau d’être amoureux-se, mais à quoi ça rime si, après, rien n’est possible ?

Oreilles de chat branchées sur vos ondes alpha

La notion de concubinage n’est pas encore entrée dans les moeurs. On ne reste pas plus de trois ans en couple libre. La société change mais lentement : les résistances sont encore trop fortes. Que faire ? En attendant, les garçons et les filles s’amusent avec des gadgets à «s’entraîner», ainsi qu’ils et elles le formulent non sans ironie. De façon très significative, beaucoup de ces gadgets sont vendus comme des extensions corporelles permettant de communiquer sans les mots. Telles sont les oreilles de chat (Neko mimi), commercialisées depuis 2012 par la firme Yukai, oreilles dont les mouvements sont calqués sur vos ondes alpha. Quand vous êtes heureuse ou songeur, elles se couchent. Quand vous êtes concentré, ou attentive, elles se dressent.

Queue robotisée branchée sur votre coeur

En 2012, la firme Yukai avait aussi tenté de lancer des queues robotisées pour humain, suivant le même principe : des modèles de Shippo (surnommées Tailly pour le marché occidental), branchés au choix sur les battements cardiaques ou sur les ondes alpha, avaient été proposés en pré-vente mais sans succès. Dommage. La publicité pour les Shippo montrait une jeune fille rencontrer un jeune garçon, et tous les deux –ignorant de leur point commun– rester en silence à se regarder… comme de part et d’autre d’un choix impossible à faire.

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A VENIR : S’il faut en croire Hiroko Sato, responsable communication à Yukai, Qoobo devrait être disponible durant le premier semestre 2019 sur le marché européen. Son développement semble être encore en cours : la programmation des mouvements de la queue est actuellement peaufinée pour simuler la présence d’un animal qui n’est ni totalement un chat, ni tout à fait un chien, mais un mélange de chat de chien et d’autres animaux dont les identités sont tenues secrètes afin de préserver le mystère Qoobo.

NOTES

(1) A peine 37% dans la trentaine. Sources : 20-40 dai no ren’ai to kekkon («L’amour et le mariage pour les 20-40 ans»), Institut de recherche des Assurances Meiji Yasuda, 20 juin 2016.

(2) La firme Yukai (dont le nom signifie «bonheur»), créée par Shunsuke Aoki, réunit des équipes de jeunes entrepreneurs ayant le désir de lancer des gadgets robotiques.

Cet article a été rédigé au Japon, dans le cadre d’une recherche postdoctorale soutenue par la Japan Society for the Promotion of Science (JSPS). Merci à M. MATSUMOTO Takuya et à Nicolas Tajan (Université de Kyôto).