« Un spectacle sur la gynécologie ? Vous êtes sûres ? C’est une drôle d’idée quand même… » Caroline Sahuquet, Flore Grimaud et Delphine Biard ont souvent entendu ça. Mais quand au Cabinet de Curiosité

« Un spectacle sur la gynécologie ? Vous êtes sûres ? C’est une drôle d’idée quand même… » Caroline Sahuquet, Flore Grimaud et Delphine Biard ont souvent entendu ça. Mais quand au Cabinet de Curiosité Féminine, on nous a parlé de Speculum, nous, on a dit « Génial !!! C’est quand ? On y va ! ». Nous avions rencontré Caroline Sahuquet lors de l’émission de radio de novembre sur les règles. Elle met en scène Tout sur le Rouge avec Aline Stinus, d’après livre d’Elise Thiébaut. Décidemment, elle pourrait avoir sa carte officielle de Curieuse ! Nous sommes donc allés voir Speculum qui se joue actuellement au Théâtre de la Manufacture des Abbesses à Paris jusqu’au 16 février. Je vous confirme,  ce n’était pas une drôle d’idée mais bien une idée géniale !

De l’intime….

Le spectacle Speculum est né  de la rencontre de trois femmes s’interrogeant sur leur rapport à leur utérus et sa médecine. Partant de leur parcours personnel fait de fausses couches, d’endométriose ou de distilbène[i], elles nous parlent plus largement du lien qu’entretient la gynécologie avec les femmes. Toutes les trois, nous offrent avec pudeur et émotion leurs histoires intimes, celles que bien souvent l’on tait car, non on ne parle pas de son appareil reproducteur dans les diners en ville. Mais, ouvrant la voie de la parole et offrant une oreille pour écouter, les langues vont se délier. Chaque femme a une histoire à raconter. La boîte de Pandore est ouverte.  Il  y a comme une urgence à briser ce tabou millénaire, comme un besoin de raconter ce que personne sans doute ne voulait entendre.

Elles ont alors mené trois ans d’enquête recueillant des témoignages de femmes comme des paroles de médecins ou de penseurs.ses. Elles rencontrent entre autres Benoit de Sarcus – gynécologue  à Nanterre, Marie-Hélène Lahaye – autrice du blog Marie accouche là , Chantal Birman, sage-femme militante[ii]. Elles lisent Benoite Groult[iii], Martin Winkler[iv] et d’autres… Elles se plongent dans l’histoire de la gynécologie, ses fondements pour en comprendre sa pratique actuelle.

Une violence institutionnalisée

Il ne s’agit pas d’incriminer tous les gynécologues ou personnels de santé mais d’enrayer une machine bien huilée, celle d’une violence médicale, de pratiques habituelles, de manières de faire qui semblent avoir été pensées davantage dans le confort du médecin que dans le souci de la patiente. La position d’accouchement en est le parfait exemple. Être allongée sur le dos avec les pieds relevés dans les étriers n’est pas la position idéale pour expulser un bébé. En revanche, elle offre une parfaite visibilité pour le médecin. En gynécologie comme ailleurs, le médecin est le sachant, il exerce une autorité naturelle sur ses patientes. Quand vous vous installez nue sur la table, sexe béant, le visage d’un.e inconnu.e ou presque, à 5 centimètres de votre intimité, il y a de grande chance pour que vous vous sentiez vulnérable. Personnellement, j’ai toujours la sensation d’une forme de régression. Je me sens paradoxalement comme une enfant sur la table de ma gynéco… Ce que les trois artistes-enquêtrices vont découvrir dépasse ce qu’elles pressentaient. Il y a les gestes médicaux réalisés par surprise, sans le consentement (ex : épisiotomie, point du mari[v]…), ceux interdits car dangereux mais que l’on pratique encore par « habitude » (ex : expression abdominale[vi]…). Et il y a aussi des histoires de viols, d’agressions sexuelles et sexistes. Pour cela, je vous conseille fortement de lire Le Livre Noir de la Gynécologie[vii] de Mélanie Déchalotte ou son documentaire, qui a été aussi une ressource clef pour le spectacle.

Comme le reflet d’une société sexiste

Cette violence s’enracine dans un sexisme ordinaire. Le ventre des femmes est un enjeu de pouvoir majeur.  Il en va de la survie de l’espèce. Il en va aussi du maintien d’un asservissement de la femme en tant que mère. Les gynécologues et penseurs de la gynécologie sont majoritairement des hommes, les patientes des femmes. Si aujourd’hui , de plus en plus de gynécologues femmes sont présentes dans les cabinets et hôpitaux, il n’en demeure pas moins que ce sont les hommes qui restent à la tête des grands institutions médicales et que la médecine s’est construite sur des années de monopole masculin. Lors du congrès des gynécologues de 2018, une diapositive  a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux et pour cause : elle comparait les femmes à des juments[viii] ! Charmant ! Speculum est un spectacle militant féministe mettant en lumière une gynécologie construite sur un socle de machisme et qui peine à s’en défaire.

… à l’universel

Delphine Biard, Flore Grimaud, et Caroline Sahuquet, fortes de leur indignation, nous offrent un spectacle kaléidoscope, foutraque et fantaisiste comme on les aime. Incarnant à elles trois, les cinquante personnages qu’elles ont rencontrés ou lus. Leur urgence à dire ces histoires est jubilatoire. Speculum possède à la fois la force du théâtre documentaire, celui qui nous parle de notre société à partir de faits réels, et l’énergie du théâtre fictionnel, celui du jeu, de la folie, de l’imaginaire.  Les trois formidables comédiennes réussissent ce challenge un peu fou de surfer entre humour et émotion pour nous parler gynécologie. Parler de la gynécologie, c’est un peu nous parler de l’origine du monde, c’est parler de notre humanité, c’est profondément universel.

Speculum, de Delphine Biard, Flore Grimaud, et Caroline Sahuquet, au Théâtre de la Manufacture des Abbesses à Paris jusqu’au 16 févier 2019 du mercredi au samedi à 19h, le 5 mars à Cherbourg – Festival Femmes dans la ville, du 31 mai au 2 juin à Joué-les-Tours – Festival Les Années Joué.

[i] Médicament prescrit contre les fausses couches ou pour améliorer la fertilité des femmes entre 1955 et 1977 et qui fut ensuite responsable de nombreuses anomalies génitales, de stérilités, de cancers chez les enfants nés du distilbène.

[ii] Chantal Birman, Au monde – Ce qu’accoucher veut dire, Points, 2009

[iii] Benoite Groult était journalise, militante féministe, autrice, entre autre, de Ainsi soit-elle en 1975, un essai sur la condition féminine.

[iv] Martin Winckler est médecin et romancier, auteur notamment de Le Chœur des Femmes en 2009, qui se passe dans une unité dédiée à la médecine des femmes.

[v] Pratique qui consiste à ajouter un point lorsqu’on recoud une épisiotomie, afin de resserrer l’entrée du vagin et procurer plus de plaisir au « mari ».

[vi] Pratique consistant à appliquer une pression sur le fond de l’utérus (appuyer fermement sur le ventre de la femme) afin de faire sortir le bébé plus vite.

[vii] Mélanie Déchalotte, Le livre noir de la gynécologie, First Edition, 2017

[viii]« Les femmes c’est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c’est celles qui mettent bas le plus facilement »