Billy Gibby, alias Hostgator Dotcom.

Il y a pire que vendre son âme au diable : vendre sa peau comme espace publicitaire. Popularisé aux Etats-Unis dans les années 2000, le “tatouage

Billy Gibby, alias Hostgator Dotcom.

Il y a pire que vendre son âme au diable : vendre sa peau comme espace publicitaire. Popularisé aux Etats-Unis dans les années 2000, le “tatouage de marque” (skinvertising) est interdit en France. L’occasion de se demander si l’interdit est l’ennemi de la liberté.

En mai 2013, une entreprise immobilière de New York (Rapid Realty) offre à ses 800 employés d’augmenter leur salaire de 15% s’ils se font tatouer le logo de l’entreprise. Près de quarante personnes acceptent.

Loin de se scandaliser, certains journalistes parlent de «loyauté» à l’entreprise : «les salariés qui se sont fait tatouer sont respectés par leurs collègues pour leur engagement». En Europe, une firme qui proposerait d’utiliser des corps comme panneaux publicitaires serait accusée d’exploiter la vulnérabilité des plus faibles. Aux Etats-Unis, le fait de rétribuer une personne pour qu’elle se fasse tatouer un logo ou une adresse de site commercial fait maintenant partie des moyens les plus avantageux d’augmenter la visibilité d’une marque.

Espace épidermique publicitaire

Le phénomène date de 1998 : la firme Outpost (qui vend du matériel informatique) lance une publicité parodique expliquant qu’elle subventionne des crèches afin de pouvoir tatouer sa marque le front des petits enfants : «Excessif ? Peut-être. Mais nous avons une mission.» Passage à la réalité, en 2001, lorsqu’un boxer (Bernard Hopkins) accepte de porter un tatouage éphémère dans le dos, juste avant un match très attendu. Le casino en ligne Golden Palace lui verse 100 000 dollars.

En 2003, une société d’hébergement de sites (CI Host) paye un nommé Jim Nelson 7000 dollars pour qu’il se fasse tatouer l’arrière du crâne (et qu’il garde ce tatouage pendant au moins 5 ans). Au cours des années suivantes, des humains se proposent comme panneaux vivants, avec une tarification différente selon les zones du corps : le front coûtera plus cher que l’épaule. L’exemple le plus connu de «publicité humaine» (skinvertiser) s’appelle Karolyne Smith, une jeune mère de l’Utah qui, en 2005, vend son front pour 10,000 dollars à… Golden Palace. Elle avait besoin de cet argent pour payer une école privée pour son fils. C’est en tout cas ainsi que la nouvelle est rapportée par les medias (1).

Une mère aux abois vend son front à un casino

Avec son visage lourdement encré, Karolyne va-t-elle trouver du travail ? En 2012, le site Buzzfeed rapporte qu’elle s’est enfermée dans l’appartement en sous-sol de son père. Quelques mois plus tard (pour éviter la mauvaise pub ?) Golden Palace lui offre officiellement (voir ici l’annonce presse) un détatouage au laser… et en profite pour l’interviewer dans une vidéo sur les «repentants du tattoo» (voir ici son témoignage entre 3:11 et 4:16). Mais son cas n’est pas le plus pathétique (au choix : grotesque). Il y a celui de Joe Tamargo, un new-yorkais, dont le visage, les bras et le cou sont couverts d’adresses web de sites… dont la plupart ne fonctionnent plus. «Il y a maintenant des douzaines, si ce n’est des centaines, de personnes qui se baladent avec des noms de domaine périmés inscrits de façon voyante et permanente dans leur peau», note le journaliste de Buzzfeed qui s’émeut : «les détritus ambulants de campagnes marketing zombis» ne sont même plus profitables. Double gâchis ?

Un père bipolaire met son corps aux enchères

Parmi ces «détritus ambulants», le plus emblématique est certainement Billy Gibby, alias Dotcom. Ce natif d’Alaska se rend célèbre en vendant plus de 30 parcelles de son enveloppe corporelle, notamment à des sites pornographiques. En mai 2015, la revue Vice lui consacre un article intitulé : «Le combat de Dotcom pour retrouver son visage après l’avoir vendu à des companies en ligne». Volontiers larmoyant, l’article commence sur ces lignes : «Que feriez-vous si vous étiez fauché, à la veille de Noël, avec des cadeaux à acheter pour vos 5 enfants ?». Frappé par la pauvreté et par des troubles mentaux (désordre bipolaire), Billy Gibby a pris l’habitude de mettre sa peau aux enchères sur Ebay. La première fois, c’était après avoir donné son rein à une parfaite inconnue, dit-il. Il avait besoin d’argent pour payer son hospitalisation. Il se fait alors tatouer GoldenPalace.com (encore !).

Il vend sa peau, puis son nom

Au début, le business rapporte et lui permet de payer le loyer pour sa famille. Mais en 2008, le marché du skinvertisement s’effondre et il se voit offrir… 75 dollars pour un tatouage qu’il lui est impossible de refuser. «Ce n’était même pas de quoi rembourser la note de téléphone», dit-il. En 2009, sa femme divorce. En 2010, pour payer ses dettes, il se décide à vendre plus que sa peau : son nom. Pour une somme X, il devient officiellement Hostgator.com (prénom : Hostgator ; nom de famille : Dotcom). En 2013, ne supportant plus de se regarder dans un miroir, il met de nouvelles parties de son corps aux enchères pour faire retirer au laser ses tatouages faciaux. Hélas, son corps déjà surchargé n’intéresse plus grand monde. En 2015, la revue Vice propose aux lecteurs de se cotiser. 6 600 dollars sont levés pour qu’il puisse s’offrir une nouvelle vie.

Le “skinvertising” interdit par le code pénal en France

En 2017, Vice affirme triomphalement que Dotcom est maintenant «libéré de ses tattoos pornos». Mais pour une personne sauvée, combien d’autres prises au piège ? La mode du skinvertising a beau connaître des hauts et des bas, il reste toujours en ligne des annonces comme celles-ci qui suggèrent de s’adresser directement à… GoldenPalace, par exemple, pour négocier un «espace corporel de pub» (body ad). Tenté.e ? Si vous vivez en France, inutile même d’y réfléchir : c’est illégal. Dans la section du code pénal consacrée aux atteintes aux libertés des personnes, la loi du 5 août 2013 définit le «crime de réduction en esclavage» comme «le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété» (2). Autrement dit : la loi française vous protège.

Mon corps est à moi : ne puis-je en disposer librement ?

Elle interdit de vendre son sang, de négocier ses organes et de louer son utérus. On pourrait s’en offusquer. De quel droit l’Etat français s’arroge-t-il le droit de limiter nos libertés ? Après tout, Karolyne et Billy n’étaient-ils pas consentants ?

La suite au prochain article (sur les limites du consentement).

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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L’institution de la liberté, Muriel Fabre-Magnan, éditions PUF, oct 2018.

NOTES

(1) Il se peut que le tatouage de Karolyne Smith soit une décalcomanie et que toute l’opération ait été montée comme une mystification médiatique. Les photos livrées à la presse sont en nombre très restreints et sur la vidéo qui montre Karolyne après le détatouage son front porte des traces qui relèvent peut-être d’un habile maquillage… N’ayant pas les moyens d’enquêter, je cite son cas sous réserves. Mais il reste emblématique des excès du libéralisme.

(2) Les attributs du droit de propriété sont au nombre de trois : le droit de disposer de sa chose (abusus), celui d’en user (usus) et celui d’en jouir (fructus, c’est‐à‐dire le droit d’en récolter les fruits). La législation française définit comme «esclave» toute personne transformée en objet de propriété mais aussi toute personne «sur qui autrui acquiert un droit d’usage, ou dont autrui s’approprie certains produits du corps», qu’il s’agisse de nouveaux-nés ou de gamètes obtenus contre rétribution. Cette loi désigne les mères porteuses comme des esclaves dont la fonction corporelle (la gestation) et dont le fruit (l’enfant) sont mis «au service d’autrui». Source : L’institution de la liberté, Muriel Fabre-Magnan, éditions PUF, oct 2018.

CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER CONSACRE AUX IDENTITES ET AUX LIBERTES : «Trigger Attentions : des «avertissements» sans dangers ?» ; «Balthus peut-il “déclencher” ?» ; «Se faire tatouer une publicité : possible ?» ;«Faudrait-il signer un contrat avant de faire l’amour ?»