J’étais un vénérable vieillard de près de quatre cents ans lorsque l’on m’arracha à ma forêt de laquelle mon tronc s’élevait pour permettre à ma cime de dominer les alentours.

Quand je dis « arraché »,ce n’est pas juste. Je fus abattu… Avec déférence, amour et respect par devaleureux bûcherons. Je ne savais pas alors quel serait mon destin. Et queldestin !

Je fus écorcé puis mis à sécherlonguement. Puis j’attendis… Attendis d’être repéré par de courageux compagnons,charpentiers de métier. Lentement mais sûrement, je pris la direction de lacapitale pour être déposé aux pieds de cette grande dame de pierres, au cœur del’île Saint-Louis.

J’y rejoignis mes congénères. Nousétions ainsi des milliers attendant d’être taillés, puis hissés dans ce quiallait devenir, pour des siècles, un chef-d’œuvre de charpente. Une véritableforêt de soutènement pour la toiture de la Belle Dame de Paris.

Cette mission, nous la remplîmes parfaitement, durant plus de huit cents ans. Régulièrement, on nous auscultait afin de détecter la moindre faiblesse. Mais le chêne a sa fierté. Mes amis et moi n’allions pas baisser les armes après tant d’années !

Pourtant hier, lorsque la chaleur commença de monter, nous avons trembler. Ce n’était pas possible… Nous ne pouvions périr de cette façon, pas après si longtemps ! Nous nous sommes battus, arcboutés tant que nous avons pu. Les craquements successifs de mes amis formèrent d’abord un chant ténu, qui s’amplifia au fur et à mesure que le temps passait. Ils criaient sous les flammes qui les dévoraient, mes vénérables amis. Dans un sinistre et merveilleux ensemble, nous hurlâmes du désespoir des vaincus.

Il aura fallut moins d’une heure pour que des flammes dignes de l’Enfer aient raison de nous. Ce qu’il reste de moi, à cette heure, est un morceau calciné et fumant qui finit de se consumer dans une nef dévastée.

Moi, qui durant des siècles, fus un chêne dans la Forêt…