Chaussures Folcoche, exposées au Cabinet des Curieux. (c) Isa Kaos

Une exposition érotique, avec des vrais morceaux ? L'artiste Isa Kaos, spécialisée dans l'artisanat de la chaussure, conçoit des objets bizarres

Chaussures Folcoche, exposées au Cabinet des Curieux. (c) Isa Kaos

Une exposition érotique, avec des vrais morceaux ? L'artiste Isa Kaos, spécialisée dans l'artisanat de la chaussure, conçoit des objets bizarres fortement inspirés des trophées d'amour. Poupées d'exorcisme intime, étuis à souvenirs, talismans d'éternelle jeunesse…

Certains chasseurs font empailler la tête de leurs plus belles prises et les dissimulent dans des cabinet privés. Comme dans le conte de Barbe Bleue, ces cabinets sont des pièces secrètes où les cadavres –accrochés aux murs– racontent chacun l’histoire d’une passion. Les chasseurs n’en ouvrent la porte qu’aux visiteurs de choix. Montrer à un hôte ses ramures et ses défenses «revient à lui témoigner une grande estime. Ce faisant, le chasseur ne dévoile-t-il pas une part essentielle de son intimité ?», explique l’anthropologue Bertrand Hell. Dans Sang noir, magnifique ouvrage consacré aux significations secrètes de la chasse, l’équation trophée=virilité prend tout son sens. Or voici qu’un cabinet très secret de Paris –le Cabinet des curieux– ouvre ses portes aux visiteurs le temps d’une exposition de trophées inédits, à l’érotisme trouble.

Âmes sensibles, ne pas s’abstenir !

L’exposition s’intitule «Isa Kaos», du nom de l’artiste, et montre jusqu’au 21 juin des «bons morceaux» de femmes précieusement conservés dans des étuis anciens ou sous des cloches de verre, comme des reliques amoureuses. Il y a, par exemple, ce tronc de femme à la chair laiteuse, partant de la croupe aux épaules, à la taille de sablier, logé dans un étui de violon… C’est une femme à caresser, comme on caresse un souvenir. Isa Kaos a taillé la forme dans du liège qu’elle a ensuite soigneusement recouvert d’une peausserie fine en agneau plongé à la douceur de neige. «C’est une femme vue de dos, aux fesses bien rondes, explique Isa. À la place de la tête, un fouet en cuir de vache que j’ai tressé de façon traditionnelle exprime l’idée de la passion… La passion presque aliénante, qui nous pousse jusqu’au bout des choses, jusqu’aux limites… Il nous faut des coups de fouet pour aller plus loin dans ce qu’on désire.»

«J’aime les pipes»

Isa Kaos, dans le même esprit, taille des formes galbées –seins ou fesses?– qui s’étirent et finissent en formes de liane souple et qui s’ajustent parfaitement dans le creux d’étuis à pipes. Elles présentent au toucher la douceur d’une peau de chamois, réchauffent la paume dans laquelle elles se moulent… D’un air faussement sage, Isa raconte à leur sujet : «J’aime les pipes. D’abord parce qu’elles m’évoquent les pipes à opium et leur charge de rêverie érotique. Mais aussi pour les volutes qui s’en échappent, si proches des formes anatomiques.» Des fantômes blancs, les arabesques à la dérive ne laissent dans l’esprit qu’une empreinte éphémère et c’est cela qu’Isa recherche à travers ses objets : l’ambivalence des sensations, aussitôt perdues que retrouvées. Ses oeuvres faitesen peaux visent à restituer, par frôlement de regards et de doigts, la mémoire des envies anciennes.

L’érotisme est-il, par essence, nostalgie ?

Seules les choses éphémères, peut-être, peuvent nous marquer profondément, au point de se graver en nous comme ces formes sinueuses qu’épousent parfaitement les étuis.Tout l’art d’Isa Kaos consiste à les matérialiser. Etonnante coincidence : au début de sa carrière d’artisan bottier, elle travaille pour Pompéi (une compagnie spécialisée dans les chaussures et les accessoires de spectacle). «Je travaille beaucoup sur la mort naturalisée, dit-elle. Mais la mort, c’est la vie. Dans tous mes objets, je mets des morceaux de corps féminin. J’ai fait des chaussons de danse, par exemple, dont la pointe reproduit les pieds écorchés d’une danseuse, afin de symboliser la souffrance qui va toujours avec la passion. J’ai fait des chaussures dites Follecoche (folle-cochonne) qui se finissent en sabots fendus, comme ceux d’une truie, parce que la femme remplie de désirs s’animalise dans notre imaginaire. Et puis j’ai fait des portraits de vulve, en cuir sculpté, parce que les vulves sont nos vrais visages...»

«Parce que les vulves sont nos vrais visages»

Au Cabinet des curieux, ces portraits à toucher seront nombreux, accrochés aux murs comme les éléments d’une collection semblable à celle des cris d’orgasme dans la film de Fellini, La Cité des femmes. Chacun d’entre eux possède sa personnalité. Il y a le «Vampirella» avec ses deux crocs qui sont «deux coquillages appelés des dentales». Il y a aussi «La reine soleil» encadré d’or ; la «Relique» dans son écrin précieux, qu’on peut transporter sur soi afin de n’être jamais seul ; les «Dents de la mère» sculpté dans du cuir écarlate, fortement inspiré de l’imagerie des mangeuses d’homme et, en miroir inversé, le portrait de la vulve «Araignée» d’une pâleur cireuse de vieille fille bigote… «Toutes les femmes m’intéressent», dit Isa Kaos. Même la Vierge a son portrait dans cette galerie d’ancêtres surréalistes. «Toutes ces parties de nous, ce sont nos désirs, raconte Isa. Il faut les préserver.»

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EXPOSITION : Isa Kaos, du 17 mai au 21 juin 2019. Au Cabinet des curieux : 12 passage Verdeau, 75009 Paris (stations de métro ligne 8 et 9 «Grands-Boulevards» et «Richelieu-Drouot »). Horaires d’ouverture de la galerie : Lundi: 14h - 19h / Du Mardi au Vendredi: 11h - 19h / Samedi: 14h - 18h / Fermé le dimanche et jours fériés. Tel. : 06 13 74 78 92 - 01 44 83 09 57 Mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

A LIRE : Sang Noir – Chasse, forêt et mythe de l’homme sauvage en Europe, de Bertrand Hell, éditions L’Oeil d’Or.

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