(c) Musée d’ethnographie de Genève

«Il était une fois un homme si beau qu’il se faisait pincer les fesses par toutes les femmes.» Au Musée d’Ethnographie de Genève, une exposition, “La Fabrique

(c) Musée d’ethnographie de Genève

«Il était une fois un homme si beau qu’il se faisait pincer les fesses par toutes les femmes.» Au Musée d’Ethnographie de Genève, une exposition, “La Fabrique des Contes”, montre comment les contes européens peuvent nous aider à comprendre le monde.

«Il était une fois un homme si beau qu’il se faisait pincer les fesses par toutes les femmes.» Cela le gênait beaucoup. Il aurait pu vivre de ses charmes, mais il s’y refusait et changeait de travail sans cesse pour échapper aux harceleuses. Jusqu’au soir où, dépité, il prononça la phrase : «Sois maudite, ô ma beauté, je donnerais mon âme pour en être débarrassé.» Sur le champ le diable apparu et lui proposa une solution : «Porte ce pantalon 7 ans, sans jamais l’enlever, ni te laver, ni te couper les cheveux ou les ongles. Pour ta subsistance, tu trouveras tout ce dont tu auras besoin dans les poches.» Le garçon enfila le pantalon du diable, trop heureux de pouvoir désormais protéger ses arrières. Il vécut ainsi, dans la crasse et dans la richesse. Plus aucune femme ne l’approchait. Au bout de 7 ans, vint le moment de rendre son pantalon au diable…

Les fluides doivent circuler

Le garçon s’apprêtait à mourir. Mais le diable refusa de prendre son âme, parce que pendant 7 ans le garçon avait pris dans ses poches pour le donner aux autres. Sa richesse, il l’avait fait circuler. «On pourrait croire que dans les contes la morale, toujours figée, dit qu’il ne faut jamais signer de pacte avec le diable. Eh bien non, explique Federica Tamarozzi, commissaire de l’exposition. Ici la morale c’est qu’être riche, en soi, n’est pas un mal. Ce qui est mal, c’est le riche avare. Dans le corps social, comme dans le corps physiologique, les fluides doivent circuler. Si les fluides ne circulent pas, se crée une boursouflure et c’est de là que viennent les maladies, tant humaines que sociales.»

Qu’est-ce qui vous attire chez quelqu’un ?

Federica a choisi ce conte parce qu’il est «d’actualité», dit-elle, et qu’il peut nous faire réfléchir aux valeurs du capitalisme. Quelle est la vraie beauté : celle des apparences ou celle du coeur ? Le beau garçon refuse de se donner à des femmes qu’il n’aime pas. Plutôt périr de crasse. Le conte dit qu’au bout de 7 ans, sa peau était couverte d’une croute noire mêlée de poils. A cette époque le royaume était en grand danger et le roi demanda de l’aide à ce pouilleux. Le garçon accepta. En échange, il ne demanda qu’une seule chose : épouser une des trois filles du roi. Les deux premières refusèrent, horrifiées. La troisième accepta. Alors le garçon pris 7 bains, d’abord brûlants, puis parfumés au fur et à mesure que sa crasse partait, afin d’apparaître devant sa promise, le jour du mariage, tout resplendissant de beauté.

Des brosses pour rendre beau

La salle dédiée au Pantalon du diable est décorée de grandes bassines et d’une cinquantaine de brosses qui ornent les murs. Ce sont les dernières brosses fabriquées à la main par le dernier fabricant de brosses suisses, qui est mort dans les années 1980. Brosses pour rayons de vélo, pour radiateur en fonte, pour se gratter le dos, pour récurer les tonneaux… Un savoir-faire a disparu. L’art de nettoyer nos âmes et de purifier nos corps s’est perdu. Reste le conte, dont le Musée d’Ethnographie de Genève propose à la fois une «visite immersive» et une approche critique. Huit contes sont mis en récit dans des salles semblables à des petits théâtres. Entre ces salles, dans l’envers du décor, l’exposition invite à réfléchir sur la façon dont les contes ont été recueillis, interprétés et utilisés en fonction du contexte historique.

Caractéristique n°1 des contes : leur variabilité

Détournés tantôt par les bourgeois qui en font des fables moralisantes, tantôt par les publicitaires, les psychanalystes ou les idéologues, les contes se voient attribuer toutes sortes de significations mais «une histoire ne vaut que par les ajouts et les transformations qu’on lui ajoute», ainsi que le formule Italo Calvino (1) et c’est toute la magie des contes que d’échapper sans cesse aux interprétations. Chaque conteur en donne une version nouvelle : impossible d’en épuiser la polysémie. Prenez Le Pantalon du diable, par exemple. On pourrait tout aussi bien en faire une lecture féministe. Victime de harcèlement sexuel, une personne est obligée de perdre sa figure humaine et sa dignité… jusqu’au jour où sa vraie valeur est reconnue. Mais le conte peut aussi se lire comme une réflexion sur l’argent, indissociable de la crasse.

L’or e(s)t la merde

Dans le catalogue de l’exposition, Federica Tamarozzi souligne le lien, récurrent dans les contes, entre l’or et les déchets «surtout les déchets ultimes, ceux de la défécation». Elle cite le conte Peau d’âne, dans lequel un âne excrète des crottins d’or fournissant la richesse à un homme sans mérite. Dans Le Pantalon du diable, même ironie latente. irrévérencieuse : c’est du moment qu’il arrête de travailler et de se laver que le héros devient riche. Renversant le sens commun, ce conte semble «contrevenir à l’éthique de l’effort et du travail». Déroutant ? Pas vraiment. On ne peut comprendre ces contes, raconte Federica, que si on comprend bien cette leçon que la richesse, avant tout, c’est le moyen de faire des échanges, matériels ou symboliques. Il faut l’expulser, afin qu’elle circule. Et que le don de cette matièrerendue liquide se transmue en amour.

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EXPOSITION : La fabrique des contes, du 17 mai 2019 au 5 janvier 2020, Musée d’Ethnographie de Genève (MEG), Genève, Suisse.

Article sponsorisé par Tatiana

 

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La fabrique des contes - Catalogue d’exposition. Sous la direction de Federica Tamarozzi. Genève: La Joie de lire / MEG, 192 pages, 2019.

NOTE (1) Italo Calvino écrit cette phrase dans l’introduction d’un recueil de Contes italiens. Francesca Serra, Professeur à l’Université de Genève, le cite dans un texte (intitulé «A qui appartient vraiment le conte ?» dans le catalogue de l’exposition) et pose la question : «Pourquoi Italo Calvino, un des plus brillants écrivains de son temps, a-t-il passé des ans de sa vie à réécrire deux cents contes traditionnels italiens (1956), au lieu de donner corps aux autres histoires nouvelles qui sûrement occupaient son esprit ?»